MEXICO

23. Nouvelles perspectives (3)

L'espace de quelques secondes ou quelques minutes, je n'en ai plus le compte, j'ai l'impression que le monde a arrêté de tourner et que plus rien autour n'existe. Seul le bruit régulier de la fontaine où nous baignons permet de maintenir un lien minime avec la réalité. Je sens une de ses mains glisser lentement le long de mon bras, remontant vers mon épaule. Mon corps frissonne tout le long du chemin de sa main et je ne s'aurais dire si c'est de froid ou d'un sentiment bien plus inavouable. Sa main se pose délicatement sur la joue, la caressant du bout du pouce et je ferme les yeux sous cette douce caresse, sous les millions de papillons qui s'agitent en moi. Quand je rouvre les yeux pour les plonger dans les siens ils ne me regardent plus mais sont fixés sur mes lèvres. Mon cœur bat si fort que je n'entends plus que ça contre mes tempes et quand son visage s'approche doucement du mien, je me dis que la crise cardiaque n'est plus très loin. Rodriguez est si près que je sens son souffle chaud contre mes lèvres et un profond désir émerge en moi qui me donne envie d'effacer immédiatement le peu de distance qui nous sépare.

Mais alors que je m'attends à ce qu'il franchisse enfin ces quelques centimètres, je vois un éclair de lucidité traverser son regard, il colle son front au mien, nos nez se frôlant et souffle de frustration avant de s'éloigner significativement de moi. L'eau autour de moi me parait soudainement glacée et je reviens rapidement à la réalité, horrifiée par ce qu'il vient de se passer et les sentiments honteux que j'ai éprouvé. Je n'ose pas prononcer un seul mot ni bouger d'un poil et heureusement c'est Rodriguez qui vient briser la glace.

_ C'est fou à quel point tu peux lui ressembler me dit-il dans un murmure. Physiquement en tout cas, sur le reste vous n'avez rien à voir du tout.

Perplexe, je me demande de qui il peut bien parler. Il s'assoit sur le rebord de la fontaine et je viens m'installer près de lui sans rien dire, espérant qu'il continu son explication.

_ C'était une femme magnifique, pleine de vie et avec tellement de bonté en elle que j'ai toujours dit qu'elle n'avait rien à faire dans ce monde, elle était un ange tombé du ciel, tombé sur Terre. Mais il y a bien longtemps que c'est devenu l'enfer sur Terre ici.

J'essaye de comprendre où il veut en venir, à qui il fait allusion, sa mère peut-être ? Mais il me manque beaucoup trop de pièces pour compléter le puzzle.

_ Je n'ai pas su la protéger mais je ne suis pas sure que vivre dans le merdier dans lequel je me suis mis aurait été un meilleur monde pour elle. Au moins elle repose en paix là où elle est et ça m'évite de voir tout le dégout et la haine qu'elle aurait pu avoir face à celui que je suis devenu.

Je ne l'interromps pas, je ne suis même pas sure que ce soit à moi qu'il parle, il a le regard ailleurs et j'ai d'avantage l'impression qu'il se parle à lui-même, qu'il exprime ce qui le hante dans ses rêves les plus sombres.

_ Aussi fou que ça puisse paraitre, je souhaitais que tu tires ce soir quand tu t'es retrouvé face à moi, le bras tendu, l'arme prête à me retirer mon dernier souffle. J'ai été pris de faiblesse et le temps d'un instant j'ai souhaité la rejoindre. Et tu sais pourquoi ? Parce que depuis que tu es là je ne cesse de la voir partout, de jour comme de nuit, elle est un fantôme qui hante le moindre recoin de mes pensées. Peut-être parce que tu lui ressemble physiquement mais aussi parce que tu me rappelles mon incapacité à la protéger. C'est bien là la seule raison pour laquelle je n'ai pas réussi à te tuer depuis que t'es arrivée foutre ta merde dans ma vie, pourtant combien de fois j'aurais du te faire taire pour toujours toi et ta grande gueule. Mais l'idée de te laisser mourir, de t'infliger le même sort qu'à elle, ce serait comme la tuer une seconde fois, j'en suis incapable, c'est pitoyable... Elle aurait du être légèrement plus âgée que toi aujourd'hui, d'un an ou deux pas plus.