MEXICO

32. Il était une fois

Je suis réveillé par une douce odeur de poivron grillé qui envahie la pièce et je ne prends même pas le temps d'enfiler un tee shirt que je cours dans la cuisine. L'odeur me fait frétiller les papilles et j'en ai déjà l'eau à la bouche. Mama s'active dans tous les sens à tel point qu'elle ne m'entend pas arriver dans son dos.

_ Bouh ! Criais-je en apparaissant devant elle.

Elle sursaute et son cri a surement réveillé tous les voisins mais je suis fier de moi et ne peut m'empêcher de rire devant son air faussement faché.

_ Combien de fois vais-je devoir te répéter d'arrêter tes pitreries Antonio !

_ Désolé mama, c'était simplement pour rire répondis-je en l'embrassant sur la joue pour l'amadouer.

_ On verra si tu ris toujours autant le jour où je ferais une crise cardiaque à cause de toi hein.

Je ne réponds rien, je déteste quand elle parle ainsi. La vie sans mama ? Impossible, je ne veux pas y penser !

_ Allez à table cariño déclare-t-elle avec un sourire rayonnant.

Je m'assois à toute vitesse sur ma chaise et j'ai tellement faim que je suis sur que de la bave coule sur mon menton. Elle dépose sur la table du poulet épicé, accompagné de toutes sortes de légumes grillés et d'une sauce piquante. Il y a aussi du mais grillé dans un autre plat et ce qui ressemble à une sorte de bœuf mijoté avec de la sauce tomate et des oignons. Aujourd'hui est un jour spécial, c'est pour ça que nous avons le droit à un repas de roi : c'est mon anniversaire ! J'essaye de ne pas penser à la fortune qu'ils ont du dépenser pour ce repas et me dis que si je me restreins, il y aura des restes pour plusieurs jours, ce sera bien mieux que la bouillie de mais qu'on mange au quotidien. Papa arrive à son tour dans la cuisine, attiré lui aussi par l'odeur divine qui règne dans la pièce et il m'ébouriffe les cheveux en entrant. Nous sommes tous les trois assis et je me jette sur ma fourchette pour commencer à manger mais ma mère me tape sur la main.

_ Antonio ! Les grâces !

Les grâces... ce sont pour moi des âneries mais mama y tient à chaque repas même quand il n'y a qu'un pauvre haricot rouge qui se bat en duel avec un poivron dans nos assiettes. A quoi bon remercier un homme qui n'est même pas capable de nous nourrir convenablement ? Il a le bon rôle facile je trouve. Mais je garde mes objections pour moi et la laisse réciter ces mots qui lui tiennent tant à cœur. Quand j'entends enfin le fameux « amen », c'est le signal et je me jette sur la nourriture. La viande fond dans ma bouche et c'est tout simplement divin. J'en ferme les yeux, dans l'espoir que ça m'aidera à savourer encore plus et prends le temps de déguster chaque bouchée. Les saveurs se mélangent parfaitement entre tous les plats et j'ai les papilles qui frétillent. J'oublie parfois à quel point mama est une bonne cuisinière, rien ne sera jamais meilleur que ses recettes. J'ai envie de me resservir encore et encore, jusqu'à m'en faire exploser le ventre mais je me retiens et laisse une part pour demain.

Quand le repas prend fin, papa me regarde droit dans les yeux, avec son air sérieux qui m'a toujours fichu la frousse quand il était fâché à cause d'une énième ânerie que j'aurais fait et je me demande ce que j'ai bien pu faire encore. A-t-il vu que j'avais cassé une tuile à l'arrière de la maison en jouant au ballon ? Ou alors est-ce une de ces vipères du village qui lui a dit que j'avais volé des gourmandises dans la supérette du coin ? Dans un cas comme dans l'autre, je suis dans le pétrin.

_ Hijo, aujourd'hui tu deviens un homme ! 13 ans, tu es suffisamment grand pour comprendre les responsabilités de la vie, tu es suffisamment grand pour prendre soin de mama. Et je pense que l'on devrait immortaliser ça dit-il en sortant un petit objet de sa poche. Cette montre vois-tu hijo, m'as été offerte par mon père qui lui venait de son propre père avant cela. Elle représente notre responsabilité un jour d'être le chef de famille et quel genre d'homme serions-nous si nous arrivions jamais à l'heure ? Ajoute-t-il en me tendant la montre.