Quatre-vingt-dix-huitième

49 6 1
                                    

-Est-ce que tu vas bien ? Je te sens très pensif ces derniers jours.

Un soupir quitta mes lèvres, mon regard dériva de la pizza que je préparais pour tomber sur l'imposante silhouette d'Adam. Dos à moi, je ne voyais pas son expression, mais, même sans ça et en ayant coupé le lien, je le savais inquiet vis-à-vis de mon comportement. Après tout, j'étais arrivé chez lui il y avait quelques heures, sans le prévenir et après une semaine à ne pas s'être vus. Il était rentré assez tard, plus qu'habituellement. Il s'était excusé en m'informant qu'il avait fait des heures supplémentaires. Il m'avait rappelé de le prévenir dans ce genre de situation. Je lui avais affirmé que ce n'était pas grave, que j'avais pu passer du temps avec Tina.

-Tu peux m'en parler tu sais. Ou, si tu n'oses pas me le dire, il y a d'autres personnes à qui tu peux te confier.

J'haussai les épaules, oubliant les pensées m'ayant traversé un instant.

-Disons que, il m'est arrivé quelque chose mais, je ne comprends pas. Et, je crois que je suis passé pour un kidnappeur ou un fou.

Il se tourna vers moi, mais je ne le regardais pas, étalant de la pulpe de tomate sur ma pâte encore vierge. Le silence fut maître des lieux pendant quelques instants. La minette miaula, demandant à Adam de lui passer quelques dés de jambon qu'il venait d'ouvrir. Il lui en donna quelques uns, attendri et incapable de résister à cette petite tigresse.

-Est-ce que tu connais un Brivael ?

Il s'arrêta, son regard revenant vers moi, s'accrochant au mien. Son sourire disparut, son expression prenant des airs de réflexion intense. Puis, tout s'arrêta, sa mâchoire se serra et une étincelle rougeâtre brilla l'espace d'un instant dans ses yeux. Il secoua la tête, pourtant, me signifiant que non. Sa réaction me rendit plus silencieux encore, mon esprit préoccupé par cet enfant et sa mère, un petit alpha et un oméga.

-Et sinon, comment ça se passe chez les Bradford ? me questionna-t-il doucement.
-Comme d'habitude, lui répondis-je froidement.

Après ça, il ne tenta plus un seul mot. Tout comme je gardai pour moi les messages incessants d'Evan, que j'ignorai à chaque fois, qui s'ajoutaient à tous mes problèmes. Cuisant puis, attendant avant de manger dans ce silence de glace que j'avais instauré. A la fin du dîner, je me levai, attrapant mon manteau tout en l'enfilant.

-Je ne dors pas ici ce soir, j'étais juste venu passer quelques heures là.

Avec toi, eus-je l'envie de rajouter. Mais je ne le fis pas.

-Repasse quand tu veux, tu es chez toi ici.
-Hm,
répondis-je simplement par désir de ne pas nous prendre la tête sur la question.
-Fais attention à toi en rentrant. Tu veux que je te dépose ?
-Non, je suis venu avec une voiture appartenant à Liam, il faut que je lui ramène.

Il me suivit jusque dans l'entrée où je remis mes chaussures. Son épaule s'appuyant contre le mur, les jambes et les bras croisés, il me contemplait silencieusement.

-Envoie-moi un message pour me prévenir que tu es bien rentré s'il te plaît.

J'acquiesçai en le regardant à peine. Ce n'était pas l'envie qui me fuyait, mais, les non-dits me rebutaient. Et, plus le temps passait, plus il y en avait, me laissant un arrière goût des plus amers. Ils me cachaient des choses, et, je détestais cela, assez pour ne plus vouloir revenir ici.

-Bonne nuit Nao.
-Bonne nuit.

Je sortis, sans regarder derrière moi. Bien que je sentis son regard intense me fixer, je l'ignorai, ne cherchant pas à créer de contact. Restant dans cette froideur avec laquelle je lui avais parlé et qui contrastait si bien avec la chaleur que son corps et que son âme dégageaient. Et moi, j'étais son parfait contraire.
Le trajet fut long, assez pour que je puisse repasser tous les événements de la soirée dans ma tête. A peine arrivé, j'entendis des gémissements étouffés et des grondements appréciateurs. Loin de vouloir m'immiscer dans leur vie privée, je montai les escaliers quatre à quatre avant d'aller m'enfermer dans la chambre qu'ils m'avaient prêtés. Les écouteurs vissés dans les oreilles, je lançai une musique en m'asseyant au bureau, là où des feuilles blanches étaient étalées, juste à côté de mes crayons. Les portraits des deux enfants accrochés au mur grâce à de la patafixe, je ne m'y attardai pas, attrapant mon crayon de papier. Un cri traversa la maison entière et, perça à travers ma musique, très désagréablement. Je rougis un peu, mal à l'aise d'être le témoin de leur nuit d'amour à eux, et, spectateur indirect de leur moment intime. J'augmentai le son, me coupant du monde extérieur, et, oubliant les cris et les grognements. Je ne pouvais que m'en prendre à moi. Je leur avais dit que je passerai la nuit chez Adam, j'avais même amené mon sac que j'avais laissé dans la voiture pour prendre la température. Et, j'avais bien fait, car, l'envie de rester auprès de lui plus longtemps avait été coupée soudainement par ses mensonges. Ils s'accumulaient et, je savais qu'à un moment, je ne les supporterai plus.
Je reposai mon crayon, attrapant mon téléphone à la place. Je lui envoyai un simple "bien arrivé" avant de le reposer, me concentrant sur mes dessins et les traits clairs se distinguant dans mon esprit, ne voulant pas voir ces autres, messages presque menaçants d'un homme avec lequel j'avais partagé mon corps. Ma main tremblait, me démangeant, prête à commencer sans moi. Ce fut elle qui partit, toute seule, guidée par mes pensées, par l'image de ce petit garçon. En un temps record, il se dessina sous mes yeux, nettement, sans que je n'ai besoin de brouillon.
Terminé, je reposai mes armes, admirant devant moi, cette bouille enfantine adorable et, possédant la voix qui avait inondé mon esprit un instant. Je notai son prénom dans un coin. Juste avant de m'attaquer au portrait de sa mère, plus long, plus minutieux, représentant une belle femme, lumineuse, jeune, mais extrêmement timide, pas moins attachée à son fils pour autant. Je ne l'avais pas entendu parler, mais, l'expression ne trompait pas, tout comme les yeux.
Les chansons défilèrent, sans que je ne les écoute réellement, me servant simplement de repère temporel, mes yeux ne quittant plus mes feuilles. Le volet ouvert, la lune avançait, petit à petit. Jusqu'à laisser place au soleil des frais matins d'hiver, des rafales de vent s'élevant dans les airs et martyrisant les vitres.
La porte de la chambre grinça désagréablement, un petit cri retentissant juste après. Je me retournai, dos à la porte, mes yeux cernés rencontrant ceux horrifiés de Nathan qui s'empressa de se couvrir un peu plus. Bientôt, Liam apparut derrière lui, grognant bassement. J'enlevai un écouteur, prêt à les écouter.

Toi sans moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant