Prologue

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« Des rêves. Je veux des rêves. »

Evangéline avançait prudemment dans l'obscurité. Il n'y avait rien autour d'elle. Rien d'autre que le vide et cette silhouette au loin qui murmurait des paroles incompréhensibles.

Le silence assourdissant étouffait le bruit de ses pas. Elle continuait à marcher, à la fois effrayée et curieuse. Ses pieds se posaient tout seuls l'un devant l'autre, son corps réagissait de lui-même, attiré par cette personne au loin.

« Donnez-moi des rêves. J'en ai besoin. »

Plus elle progressait, plus son ventre se tordait, plus sa gorge se serrait et plus son cœur s'alourdissait. Pourtant, ce n'était pas de la peur qu'elle ressentait. C'était plutôt de... l'inquiétude. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait.

La silhouette devint soudainement plus nette. Un jeune garçon, à peine plus vieux qu'elle, était assis par terre, les genoux contre la poitrine. Il se balançait lentement d'avant en arrière en répétant ces drôles de phrases, les yeux perdus dans le vide. Parmi ses cheveux noir corbeau, une mèche blanche ressortait et retombait devant son visage, cerné et creusé.

Toute l'inquiétude d'Evangéline s'envola lorsqu'elle le vit. Elle souhaitait seulement l'aider.

Elle le contourna et s'accroupit devant lui. Il ne broncha pas, absent.

« Bonjour. »

Il sursauta et ses grands yeux se posèrent sur elle. Evangéline resta immobile un instant, hypnotisée par son regard et cette couleur singulière. Ses yeux étaient d'un marron si clair qu'ils semblaient ambrés.

Sa mèche blanche et quelques cheveux noirs lui barraient le visage, un visage figé dans la peur. Mais il se détendit peu à peu, détaillant les traits de la jeune fille comme si elle était la première personne qu'il rencontrait. Ses bras maigres relâchèrent leur emprise autour de ses jambes et il se redressa, perdu dans la contemplation de celle qui se tenait devant lui.

Evangéline aurait voulu dire quelque chose, mais aucun son ne sortit lorsqu'elle ouvrit la bouche. Son corps ne bougeait plus, comme si deux immenses mains la maintenaient sur place.

Le garçon leva lentement la main vers elle, avant de la laisser tomber, comme s'il avait peur qu'elle ne se brise s'il la touchait.

« Est-ce qu'on se connait ? L'interrogea-t-il de sa voix enrouée. J'ai l'impression de t'avoir déjà vue. »

Evangéline retint son souffle. Ces yeux ambrés lui étaient aussi familiers, mais elle n'arrivait pas à se souvenir. Elle n'avait jamais rencontré quelqu'un avec un tel regard. Pourtant...

« Moi aussi, j'ai l'impression de te connaître. »

Il grimaça et cessa enfin de la regarder. Ses yeux se posèrent sur ses mains. La jeune fille remarqua soudainement qu'elles étaient poisseuses d'une matière noire et gluante.

« Avant de dormir, j'ai souhaité quelque chose.

–Quoi ? S'enquit Evangéline, curieuse. »

Il releva la tête et l'observa de nouveau.

« Je voulais rencontrer la personne qui me comprendrait le mieux. Quelqu'un qui me donnerait envie de sourire et de partager mes rêves.

–Mais on est déjà en train de partager un rêve, non ? »

Le garçon se mit à rire, mais son sourire n'atteint pas son regard. La force qui maintenait Evangéline en place se relâcha soudainement et elle put s'installer en tailleur face à lui, faisant bouger distraitement ses jambes.

« Je ne parle pas de ces rêves-là, reprit-il plus sérieusement. Je parle de ce que les gens aspirent à faire dans leur vie. Moi je n'ai pas de rêve. Je ne sais pas quoi faire, si ce n'est suivre le chemin qu'on a tracé pour moi. »

Le cœur de la fillette se serra mais elle se redressa, un grand sourire aux lèvres, espérant que cela suffirait à le rendre moins mélancolique.

« Moi j'ai un rêve, est-ce que tu veux l'entendre ? »

Son regard s'illumina et il acquiesça.

« Mon plus grand rêve, c'est de me rendre dans la Cité des Étoiles et d'y vivre pour toujours ! On dit que là-bas, tous les rêves se réalisent. »

Le garçon sourit plus sincèrement, comme si cette idée l'enchantait. Alors elle se leva et commença à tournoyer sur elle-même, reproduisant la danse d'une artiste de rue qu'elle avait vue une fois.

« J'ai entendu dire que dans la Cité des Étoiles, continua-t-elle sans cesser de bouger, les gens dansent et rient toute la nuit. Que les amoureux s'embrassent lorsque les étoiles tombent du ciel et les lient à tout jamais. Qu'on peut y faire ce qu'on veut, quand on veut, qu'on est libre d'être qui on souhaite. C'est ça mon rêve. Être libre ! »

Elle s'arrêta alors, essoufflée. Le garçon paraissait émerveillé par ce qu'il voyait et entendait. Son teint blafard s'était transformé, comme si la vie l'habitait à nouveau.

« Moi aussi, je veux y aller, murmura-t-il. »

Evangéline rit doucement face à l'air idiot qu'il prenait.

« On s'y retrouvera ! S'exclama-t-il avec plus de confiance. On ira y réaliser tous nos rêves. Je te promets que j'en aurais trouvé plein ! Et on sera libres.

–Comme les étoiles dans le ciel, ajouta la jeune fille. »

Il hocha la tête.

« Comme les étoiles dans le ciel. »

Le large sourire de la jeune fille s'effaça lorsqu'elle se rendit compte que le garçon disparaissait petit à petit. Paniquée, elle se mit à courir dans sa direction. Mais chaque pas qu'elle faisait semblait l'éloigner de lui, comme si elle avançait à reculons. Et lui s'évanouissait lentement dans l'obscurité.

« Attends ! »

Sa voix résonna, se répercuta contre des murs invisibles.

« Tu ne peux pas partir, je ne sais même pas comment tu t'appelles ! »

Elle accéléra, désespérée. Pourquoi est-ce qu'il s'éloignait ? Pourquoi est-ce qu'il disparaissait ? Et pourquoi est-ce qu'elle n'arrivait plus à l'atteindre ? Elle avait beau s'épuiser, il restait inaccessible.

Elle vit les lèvres du garçon bouger. Il tentait de lui parler mais elle ne l'entendait pas. Elle plissa les yeux pour lire sur ses lèvres mais il était trop loin.

Elle s'arrêta alors, essoufflée et le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Puis elle plaça ses mains sur son visage et s'époumonna en priant pour qu'il l'entende, alors qu'il n'était plus qu'une vague silhouette au loin, aspirée par l'obscurité.

« Je m'appelle Evangéline ! Tu dois tenir ta promesse et me rejoindre à la Cité des Étoiles ! Retrouve-moi avec mon prénom et mon rêve ! Souviens-toi parce que moi, je n'oublierai pas ! »

Evangéline se réveilla en sursaut au beau milieu de la nuit, dans sa chambre plongée dans l'obscurité. Ce décor si familier ne la rassura pas pour autant. C'était comme si quelque chose manquait. Quelque chose qu'elle avait perdu et qu'elle savait qu'elle ne retrouverait jamais. Cette simple pensée fit déferler en elle une infinie tristesse.

Et depuis cette nuit, elle ne rêva plus. Plus jamais. 

La Cité de SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant