Lexi et Coma

Chapitre 28 (1/2)

Les jours suivants défilent à une vitesse alarmante. Comme si elle ne s'était pas assez faite remarquer au début de son parcours, voici que Lexi répend malgré elle une traînée de commérages dans son sillage. On questionne ce changement qui n'a jamais eu lieu auparavant. On met en doute les choix du capitaine. On souffle aussi, tout bas, qu'il s'est trompé, pour une fois. Lui qui a la réputation de n'entraîner que les meilleurs. D'aucun disent qu'il n'a pas su voir assez rapidement le potentiel de Lexi et que, blessé dans son orgueil, il a coupé l'herbe sous les pieds de son lieutenant ; d'autres chuchotent qu'il a perdu la tête et que ce serait bien la première fois qu'il gaspille son temps à former une recrue inexploitable. Comprendre « qui se fera évincer d'une semaine à l'autre ». Et, effectivement, les statistiques ne peuvent donner tort à ceux qui pensent ainsi. Lexi n'a jamais fait partie du haut de la liste. Elle peine toujours à la limite du classement, comme à ses débuts,  et elle se sort les fesses du feu de justesse, à chaque fois. Rada et elle se tirent la bourre, quoique de manière amicale, pour qu'aucune d'elles ne finisse en-dessous du seuil éliminatoire, dans une forme de gentille compétition pour rester en lice. Et avec les candidats qui se retrouvent évincés toutes les semaines, la fin de leur parcours commence à devenir un véritable enfer.

Lexi n'a eu pas le temps de faire connaissance avec l'équipe de Coma. D'office, le remplacement d'Ingrid a été mal accueilli et ses coéquipiers le lui ont fait sentir. Entre les regards de travers, les refus de faire équipe avec elle, et les remarques déplacées, Lexi leur est plusieurs fois rentré dedans. Elle a mis ça sur le compte d'un trop plein de testostérone, et d'une nette préférence pour Ingrid et ses résultats aussi élitistes que tous semblaient l'être, dans cette équipe. Grace n'avait finalement pas tort, quand elle lui avait assuré, le jour de leur rencontre, que Coma n'approuvait pas la gent féminine au sein de la Garde. Dans son équipe, sur cette session, il n'y a jamais eu que deux femmes : l'une ayant remplacé l'autre, comme pour maintenir un équilibre malsain et incompréhensible.

Dans le dortoir des filles, pour couronner le tout, la tension est aussi palpable que partout ailleurs. Ingrid refuse de lui adresser la parole depuis qu'elle a appris avoir été remplacée. Elle met ce choix sur le compte du favoritisme et, même si elle respecte assez Lexi pour ne pas la salir dans son dos — ou alors elle le fait trop discrètement pour que Lexi le remarque ? —, elle ne fait pas l'effort de changer de discours, encore moins de façon de penser.
Les collègues qui ne lui ont, jusque-là, jamais adressé la parole commencent soudain à la questionner directement ou non. Comme il reste quatre fois moins de recrues féminines, elles s'agglutinent d'autant plus facilement autour de Lexi, tous les soirs ou presque. Leur curiosité est insatiable et leur discrétion inexistante. Et Lexi supporte de moins en moins ces comportements.

Après le repas, ce soir-là, Lexi tente d'éviter un énième interrogatoire. Elle a mangé seule, assise auprès de ses nouveaux équipiers mais sans adresser la parole à aucun d'eux. Les quelques regards qu'elle a lancé en direction de l'équipe du lieutenant Gork n'ont trouvé aucune réponse, si ce n'est celle de Rada. De son sourire timide, elle a sans doute tenté de rassurer au mieux son amie. Mais elle n'en a pas dit plus, et a détourné le regard sitôt qu'Ingrid a posé une main sur son avant-bras. C'est tout aussi seule que Lexi s'éloigne du dortoir, empruntant des couloirs sans trop se demander où elle souhaite se rendre.
Ces quelques semaines intensives ont, étrangement, changé un peu sa perception des relations sociales. Ces dernières n'étaient que subsidiaires, avant son entrée dans la Garde. Elle discutait avec ses collègues chez Tucker, au Gunpowder, mais aucune ne pouvaient être considérées comme des amies. Son tempérament faisait d'elle quelqu'un de solitaire, depuis son plus jeune âge. Les pertes qu'elle a endurées lui ont forgé une coque à l'épreuve de ceux qui tentent de se rapprocher : à force de s'y heurter, ils finissent tous par abandonner. Mais, depuis qu'elle a rencontré ses coéquipières, depuis qu'elle a partagé ces exercices éprouvants, ces doutes, ces craintes et surtout cet objectif commun de rester dans la Garde... Elle avait comme l'impression d'avoir découvert quelque chose.
Et voilà que cette découverte lui file entre les doigts, sans qu'elle n'arrive même à comprendre pourquoi.
Pis encore, elle se trimballe un sentiment troublant. Une sorte de manque.