Lexi et Coma

Chapitre 18

Quand Lexi entre dans le réfectoire, accompagnée de ses quatre autres comparses dont elle ne connaît même pas encore les noms et du lieutenant Gork, en tête, une vague de soulagement l'envahit. Finalement, les trois recettes calamiteuses qu'elle a essayé de faire seule, avec Home pour unique supervision, n'auront aucune utilité. Et, vu comme elle avait manqué flamber son appartement, en oubliant un steak de légumes sur le feu, le réfectoire ainsi que la nourriture toute prête qui atterrirait dans son assiette ne seraient pas de refus. À sa décharge, cinq minutes de cuisson à feu doux lui avaient paru une éternité. Lexi avait donc mis ce temps d'attente à bon escient et s'était plongée dans la lecture du Code Intérieur. En effet, consciente qu'elle ne pourrait rester éternellement ignorante, que la date de début de service se rapprochait et qu'elle aurait mieux à faire que de rester en isolement pour avoir enfreint le fameux règlement sans même le savoir, elle pensait faire d'une pierre deux coups. Un peu de lecture, une cuisson lente et... un oubli. Après tout, ça arrive à tout le monde. Et Home a sauvé l'appartement de l'incendie, tout est bien qui finit bien.

Les doux effluves font râler son estomac, alors qu'elle suit la petite troupe. Ils s'installent tous ensemble à une table ronde, les mains vides au grand désespoir de Lexi qui aurait tout donné pour récupérer un plateau garni avant de se poser. La salle est déjà comble. Lexi suppose qu'ils ont eu de la chance de trouver de la place mais elle note alors que certaines tables sont encore vides, notamment les deux qui entourent la leur. Une drôle de coïncidence, avec le monde qu'il y a ici.

L'un de ses collègues pousse un grognement en laissant tomber sa tête, et même son buste, sur la table, avachi de fatigue sans qu'il ait besoin d’exagérer. Lexi, en tout cas, veut bien croire l'authenticité de son état pitoyable. Leur état. Ni elle, ni les trois restant n'en mènent beaucoup plus large. Heureusement qu'ils avaient pu se doucher, après ces heures de torture, sans quoi leur présence auraient probablement été refusée : leur simple odeur aurait été une alarme criante, aucun doute qu'ils se seraient fait mettre dehors dans la foulée. Au énième gargouillis de son estomac, Lexi n'y tient plus. Elle se lève et est aussitôt interpellée par le lieutenant qui lui intime de se rasseoir.

« Mais j'ai faim ! plaide Lexi, espérant la faire changer d'avis et la laisser aller se servir quelque chose.

— Nos assiettes arriveront dans quelques minutes », s'esclaffe Gork.

Oh, dans ce cas... Lexi se rassoit et, la chef d'équipe entreprend de les faire patienter. Elle leur demande de se présenter un peu, qu'ils apprennent à mieux se connaître.

« Après avoir partagé autant de sueur, c'est la moindre des choses, souligne-t-elle. Matricule 4456, tu veux commencer ? »

La concernée lève la tête, les yeux écarquillés, comme si elle avait oublié leur présence et qu'elle se retrouvait soudain devant un auditoire comble, forcée de répondre à un interrogatoire malaisant. Du bout des doigts, elle joue avec une mèche de ses longs cheveux noirs, épais mais parfaitement lisses, qui tombent élégamment jusqu'à sa poitrine. Elle hésite, tourne la tête, la baisse, regarde Gork. Sa bouche s'entrouvre, mais aucun son n'en sort. Parmi les quatre jeunes, elle s'en est superbement tirée pendant ce premier entraînement. Concentrée, elle n'avait parlé à personne, rit d'aucune blague des trois garçons. Elle avait déjà l'air un peu distante, mais sans que Lexi ne parvienne à dire pourquoi, non que cela l'avait spécialement interpellée, en y repensant, elle n'aurait simplement pas parié sur une telle timidité. Pour autant, Gork l'encourage d'un sourire, lui assurant qu'elle peut confier ce qu'elle souhaite, pourquoi pas simplement son nom, pour commencer ? 

« Je m'appelle Rada. » Elle laisse un temps de silence avant d'ajouter : « Essahi. »

Et aussitôt, elle baisse les yeux. La réaction des trois jeunes hommes explique sans doute en partie l'hésitation de Rada à dévoiler son nom de famille. Les voilà qui tapent sur la table, en chœur, s'exclamant des « Oooh ! »  et des « Sérieux ? » d'une seule voix. Ils sont repris dans la seconde par Gork qui leur lance un regard mécontent et ils se calment un peu, pour continuer à peine plus bas :