Chapitre 2

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L’air sérieux que le capitaine arbore la projette dans un état de choc, juste après être passée par un demi millier d’émotions, aussi violentes que douteuses ; l’esprit a vacillé entre l’envie de lui cracher à la figure ; celle de tourner les talons et ne jamais revenir ; celle de lui rire au nez ; et il a même hésité à provoquer un véritable fou-rire. Quelque part, toutefois, consciente qu’elle serait mal avisée de se laisser aller à son caractère revêche, elle est parvenue à se calmer pour offrir l’expression faciale la plus placide qu’elle ait pu produire. Elle ne compte pas lui faire plus d’honneur, sachant qu’elle est déjà obligée d’abdiquer, malgré elle. 

« Vous avez l’autorisation d’enlever vos chaussures. » 

Le ton moqueur ne lui échappe pas, et elle n'est apparemment pas la seule à l'avoir remarqué : parmi les recrues, des gloussements étouffés se font entendre. Le capitaine réagit au quart de tour, son mécontentement palpable derrière la  froideur, quand il assène : 

« Silence. » 

Il n’a pas besoin d’hausser le ton pour que les nouveaux arrivés se raidissent et regagnent leur sérieux. Lexi, alors même que l’ordre ne lui était pas adressé, se retient de respirer, comme si elle risquait de faire du bruit et d’attirer ses foudres, une nouvelle fois. 

« Le prochain que j’entends rire rejoindra votre camarade, lance-t-il en désignant la retardataire. Vous retiendrez désormais vos comportements enfantins. Vous n’êtes plus dans une cour de récréation. » 

La remarque est particulièrement piquante, du fait qu’elle s’adresse à des adultes. Plus encore quand on constate que certains ont acquis ce statut depuis plusieurs années, déjà. Les mines déconfites indiquent bien que le message est reçu. 

Lexi, quant à elle, laisse sa fierté de côté pour détacher vaillamment ses sandales et les poser à un mètre de là. L’humiliation qu’elle s’apprête à subir restera probablement gravée dans sa mémoire. Beaux débuts, qu’elle râle en son for intérieur. Au moins, elle pouvait lui en être reconnaissante, Capitaine Glaçon avait tôt fait de calmer les ardeurs des moqueurs. Elle aurait tout le plaisir de se faire humilier dans le silence. 

Chaque traction est une épreuve. Les petits bras manquent encore de masse musculaire pour encaisser autant de sollicitations à la fois. Son entraînement régulier n'est jamais  allé aussi loin. Elle ne s'était que contentée d'un jogging quotidien, quelques pompes, quelques abdos, quelques tractions, mais pas beaucoup plus. Une goutte de sueur perle le long de la figure quand le corps remonte péniblement, puisant dans ses réserves pour ne pas s’écrouler. 

Ploc

Étrange comme le son lui parvient détaché de tout le reste. Comme si le cerveau, venant à manquer de solutions, s'était concentré sur un détail simple pour ne pas s’égarer dans les méandres de la déraison. Étrangement, un  court-circuit s’est produit, quelques minutes auparavant, alors que les larmes stagnaient dans les orbites, prêtes à se jeter dans le vide. Les signaux d’alarme qu'a envoyés le corps, clairement en détresse, n'ont jamais été entendus ; il a fini par se lasser et cesser d’avertir. Et tout est devenu calme.

Ploc

Et une goutte, encore, tombe sur le sol, rythmique infaillible d’une balade tranquille. Celle de l’esprit qui témoigne son manque de cohérence, sans doute. Car rien n’est tranquille, quand les muscles manquent se déchirer à chaque mouvement supplémentaire. 

Quelle force lui permet de continuer ? Lexi l’ignore. Comment n’est-elle pas encore étendue sur le béton rugueux, incapable d'effectuer le moindre effort supplémentaire ? Le simple fait de ne pas vouloir ployer est-il suffisant ? Peut-on seulement influencer l’esprit au point de le faire taire quand il crie être à bout ? 

Lexi et ComaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant