Chapitre 31

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La porte du dortoir se referme sur Coma, resté à l'extérieur. Bien entendu, il ne fait aucun commentaire. C'est sa ligne directrice de cette fin de soirée, ou plutôt de cette nuit déjà bien entamée : silence de mort, regards furtifs, sourcils froncés et lèvres pincées. Il a piloté en silence, que ce soit la moto pour les ramener à l'Embarcadère, ou la navette pour les reconduire à la Tour. Les circonstances eussent-elles été plus légères que Lexi en aurait souri, mettant son humeur délicieuse sur le compte de sa façon d'être générale. Mais il y a quelque chose de plus grave dans son expression tendue, une brise plus froide que d'habitude dans le gris orageux de ses yeux. Et elle-même n'a aucune envie de partager quoique ce soit avec lui. Ni l'un ni l'autre n'a brisé la glace qui les entoure.

Comme s'ils étaient redevenus de parfaits étrangers.

Lexi inspire, profondément, alors qu'elle laisse son regard s'acclimater au noir de la pièce. Elle ne veut pas réveiller ses collègues qui doivent déjà dormir depuis un moment. Quand ils ont retrouvé la vieille navette, elle était la seule encore présente sur les lieux. D'autres patrouilles ont pris le relais plus tôt dans la soirée et les cadets ont pu rentrer se reposer, tous certainement aussi éreintés que Lexi en ce moment... mais sans doute pas tous aussi chamboulés.

Pendant un instant, elle hésite à réveiller Eloïse, mais elle se rappelle qu'elles se connaissent à peine. Ce n'est pas parce qu'elle ont ri ensemble ce matin, échangé quelques regards, qu'elle peut désormais tout lui confirer. Et même si ce n'était pas quelque chose qu'elle faisait fréquemment que de s'épencher sur ses problèmes, ses peurs, ses doutes, elle est forcée de constater qu'elle n'a plus personne à qui parler, depuis son transfert dans l'équipe de Coma. Ne serait-ce que pour s'amuser de futilités, décompresser un moment, penser à autre chose. Son esprit tourne autour de son intégration, sans arrêt, depuis plus d'une semaine. Et même maintenant que leurs destins sont scellés, elle est incapable de faire marche arrière et de retrouver un semblant de calme intérieur.

Le besoin de parler à Hayden se fait lourdement ressentir. Elle le repousse, d'abord, tout en passant devant la rangée de couchages, pour attraper la serviette de bain posée sur son matelas, au pied du lit, fraîchement lavée et bien pliée. Juste au-dessus de celle-ci, se trouve un petit tas de vêtemets de rechange. Elle n'a pas besoin de la lumière pour savoir qu'il y a deux tee-shirts, une veste un peu plus épaisse et deux pantalons de sports, tous aux couleurs de la Garde, dans un bleu nuit qui les rend à peine discernables dans l'obscurité. Mais ils sont là tous les deux jours, elle ne peut pas se tromper. Lexi se dirige vers la salle d'eau attenante et c'est quand la porte s'ouvre, que la lumière s'allume — ce qu'elle a anticipé en tournant la tête pour ne pas être aveuglée — qu'elle remarque que tous les lits sont vides. Sa première pensée réveille une pointe de jalousie : pendant qu'elle était dehors, témoin d'injustices et de comportements inacceptables, à son sens, les filles entreprenaient tranquillement leur déménagement. Elle aurait souhaité se tromper, elle aurait préféré être mauvaise langue, mais elle cherche les deux valises restantes, en dehors de la sienne, et constate qu'elles ne sont plus là. Bien sûr, personne n'allait venir lui faire visiter son appartement maintenant. Et peut-être pas demain non plus d'ailleurs. Qui sait, elle va peut-être rester ici, dans l'inconfort impersonnel d'un endroit qu'elle n'aura, au moins, plus besoin de partager. Quitte à être seule, autant faire comme chez elle et c'est sans trop réfléchir que Lexi se déshabille à l'entrée de la salle d'eau collective, semant ses vêtements comme elle l'aurait fait si elle avait été seule chez elle.

Ce soir, elle a une dizaine de douches rien que pour elle. L'idée lui traverse brièvement l'esprit : c'est autant de rations d'eau qu'elle peut s'amuser à dilapider, elle peut, pour une fois, profiter d'une longue douche réparatrice. Et, si elle ne se sentait pas concernée par l'idée qu'ailleurs d'autres pourraient manquer d'eau, elle ne se serait pas gênée. Mais elle chasse ce fantasme alors même que les premières gouttes, froides comme la pluie, la font frissonner. Elle n'attend pas pour se savonner, elle aime profiter de ses dernières minutes sans avoir peur de déborder et de ne pas pouvoir se rincer correctement.

Lexi et ComaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant