Chapitre 0

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Faire le vide.

Pour privilégier la concentration, pour rester focalisée sur cette cible à distance. Parce qu'elle est loin et inatteignable. Ce n'est qu'un test, inutile de se monter la tête. Un test de plus, mais probablement pas le pire. Derrière elle, une heure de course, sauts d'obstacles, port de charges. Une heure d'endurance qui a déjà bien fatigué les muscles. Tendus, ils tirent de toutes parts. En y regardant de plus près, certaines veines se montrent déjà sur l'épiderme, gonflées du sang qui circule plus rapidement que de raison dans les vaisseaux. Malgré sa légèreté, le poids de l'arme n'aide pas non plus ; le bras en extension manque de stabilité. Les tremblements qu'il produit fait augmenter le stress d'un cran. Si elle ne se calme pas, elle n'y parviendra pas.

La cible est immobile. Les lieux sont bruyants. Dans le vacarme se mêlent explications, ordres, coups de feu, grondements et geignements.

Faire le vide.

« Rejeté ! Comment êtes-vous seulement parvenu jusque-là avec des résultats aussi mauvais ?! »

Les hurlements du mastodonte aux traits durs lui parviennent diffus, comme filtrés par un casque anti-bruit. Elle voit ses lèvres masculines, peu charnues et sèches, bouger presque au ralenti, tandis que son cœur tambourine et qu'elle tente de se convaincre qu'elle n'a pas besoin de ressentir cette pression infernale qui lui enserre la poitrine. Ce n'est qu'un test. Douce litanie qu'elle se répète silencieusement, en vain.

L'aspirant essaie de rester digne sous l'agression extérieure. Droit comme un piquet, le poing collé contre son sternum, les yeux fixant un point invisible devant lui. Il ne bronche pas. Il prend la vague de reproches en pleine figure et s'il est blessé par les propos de l'examinateur, il n'en laisse rien paraître. Son visage reste parfaitement stoïque, même quand on lui crie de prendre ses affaires et de s'en aller fissa.
Triste contraire, une jeune femme éclate en sanglots, au même moment, alors que des propos similaires lui sont tenus. On l'attaque sur sa féminité, en crachant que son émotionnel ne lui permettrait pas de tenir une heure sous pression. Elle serre les dents, essayant probablement de retenir les flots qui menacent de déborder. Dernière tentative de leur montrer qu'ils ont tort. Son regard se perd sur le sol, honteux.

« Identifiez-vous, recrue. »

Un sursaut lui échappe, alors qu'elle tire ses yeux de la scène désastreuse pour les poser sur l'examinateur qui vient de se placer dans son champ de vision. Prudemment, il a préféré rester à une certaine distance de la trajectoire potentielle du rayon.
Les recrues, triées sur le volet avant même d'être autorisées à passer ce dernier examen, sont préalablement formées au tir. Elles suivent une session ou deux d'explications et d'exercices pratiques, afin que chacun ait des chances égales et pour éviter les risques d'accident lors de la présentation. Le tout de manière interne, puisque le port d'armes est interdit sur Hynis. D'ailleurs, ces dernières ne circulent pas dans la population ; même au niveau de certains réseaux, l'attention de la Garde est infaillible. La population doit se savoir en sécurité, quoiqu'il arrive.

« Walberg. Lexi. Matricule 0513-A. »

Respectueusement - il ne s'agirait pas de se faire remarquer si rapidement, la réponse ne tarde pas à franchir les lèvres de la jeune femme. Elle a parlé d'un ton assuré, presque brusque, tandis que ses yeux n'ont pas quitté ce point invisible qu'elle fixe devant elle, à l'instar des autres recrues. Ça ne l'a pas empêchée de croiser le regard de son supérieur, de plonger momentanément dans le gris orageux des pupilles de l'homme. Ça ne l'a pas non plus empêchée d'imaginer qu'il devait avoir la trentaine, ni de se dire qu'il était beau, malgré la dureté de ses traits. L'aura frigide qui l'entoure, cependant, en aurait intimidé plus d'une.

Lexi et ComaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant