Les recrues forment une ligne propre. Chacun le dos bien droit, la tête haute, dans une position assurée. Malgré les apparences, la plupart d'entre-eux laissent suinter le stress par-delà tous les pores de leur peau. Bien sûr, ils font de leur mieux pour camoufler la moiteur de leur main et essuyer discrètement les quelques gouttes qui roulent sur les tempes, ou dans la nuque. Positionnés juste devant l'immense bâtiment portant cette inscription qui le définit comme étant l’Embarcadère, ils attendent dans un silence religieux.
Cinq gardes s’entretiennent en toute discrétion, échangeant des notes, regardant la tablette des uns et des autres par-dessus l’épaule de leur propriétaire, y ajoutant parfois une indication ou l’infirmant, d’un hochement négatif de la tête. Les bribes de conversation que les recrues peuvent entendre — un mot ou deux, tout au plus — ne font aucunement sens pour elles.
Les pas crissent sur le gravier mal réparti, puis se font silencieux quand les gardes battent la terre poussiéreuse pour rejoindre leur collègue, peut-être bien leur supérieur à tous, se répartissant à sa gauche puis à sa droite. Ils ne semblent pas dérangés par les regards curieux des nouveaux soldats et prennent tout leur temps, terminant de s'envoyer regards et hochements de tête.Au bout de la file de nouveaux, tout à gauche, une recrue un peu trop zélée termine d'enchaîner les pompes qui constituent sa sanction du jour. Le jeune homme, avec son air revêche, avait soupiré d’exaspération de manière certainement un peu trop audible, quelques cinq minutes après qu’on les avait fait patienter à l'extérieur. On avait clairement exigé de leur part un silence parfait, mais sans une explication ce qui n'avait apparemment pas plus au jeune soldat. De temps à autre, ses grognements transpercent le calme et attirent sur lui un ou deux regards compatissants. Pas celui de Lexi qui ne se souvient que trop bien qu'elle aurait préféré étriper le premier à lui offrir ce genre d'expression plutôt qu'avoir à subir une telle humiliation plus longtemps.
« Nous allons vous départager et former des équipes. Vous rejoindrez les navettes qui vous attendent sur le toit de l'entrepôt », explique soudain l'un des garde, sa voix aussi forte que s'il voulait faire cesser le bruit inexistant et capter leur attention dissipée. « Pour une question de discrétion, vous décollerez l'un après l'autre en respectant un écart d'une dizaine de minutes et vous suivrez chacun une trajectoire différente. »
Il sonde la lignée de recrues, dont certains n'ont pu se retenir de se tortiller sur place, le plus discrètement possible. Ceux-ci ont droit à un traitement de faveur : leur supérieur se positionne devant eux, les toisant de toute sa stature. Veut-il les faire flancher, attend-il une réaction de leur part ? Il passe devant Lexi et elle se retrouve hypnotisée un bref instant par ses pupilles aussi sombres que la couleur de sa peau.
Mais ce n'est pas un sentiment de malaise tel qu'on pourrait l'imaginer, qui s'empare d'elle lorsqu'il l'appelle par son matricule. C'est un sentiment de doute, une question en suspens qui anime ses propres orbes d'ambre : elle jurerait avoir déjà entendu sa voix.« Un pas en avant », ordonne-t-il sans lâcher son regard.
Lexi s'exécute et il s'éloigne. Après avoir appelé trois autres recrues, il leur indique vaguement comment se rendre sur le toit du deuxième dépôt. Celui-ci jouxte le premier, à quelques vingt mètres de distance, peu ou prou, mais ils ne doivent pas perdre de temps, on leur demande d'y aller au pas de course. Suivant les directives qu'on vient de leur communiquer, Lexi prend involontairement la tête de leur petit groupe. Elle ne saurait se l'expliquer mais les trois autres lui semblent déboussolés, ou trop angoissés pour faire autrement que de suivre la cadence. Elle comprend rapidement pourquoi quand, une fois à l'écart des oreilles indiscrètes de leurs supérieurs, une fille s'inquiète de devoir piloter la navette, demandant si quelqu'un dans le groupe a un minimum d'expérience en la matière. Lexi lui répond tout en grimpant quatre à quatre les escaliers camouflés sur le versant arrière de l'entrepôt :
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Lexi et Coma
RomanceDe prime abord, l'ordre règne sur Hynis. Depuis la création de la colonie, il y a 255 années terriennes, les êtres humains sont maintenus dans cette paix qu'ils chérissent tant. Les informations diffusées aux travers des médias ne sont que messages...