Chapitre 14

849 114 122
                                    

Alors que Lexi se lève, elle avise le clin d’œil amusé du quinquagénaire. Coma n’a pas bougé de l’encadrement de la porte, empêchant celle-ci de se refermer pendant toute la durée de son apparition dans leur entrevue, ce qui n’a gêné personne, apparemment.

« Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, Walberg. Je suis sûr que votre tempérament lui fera le plus grand bien. »

L'encourage-t-il sérieusement à continuer sur sa lancée alors qu’elle vient de passer plus de dix heures enfermée dans l’équivalent d’un congélateur ? Elle rejoint Coma à la porte, un sourire radieux sur ses fines lèvres, puis se retourne pour renvoyer son clin d’œil au général, comme s’il s’agissait d’un ami de la famille qu’elle côtoyait depuis l’enfance. Et son rire retentit encore quand la porte de son bureau se referme. Cet homme est vraiment surprenant.

En parlant de surprise... Quand Lexi lève les yeux, le petit sourire qui planait jusque-là sur son visage, et dont elle n’avait même pas vraiment conscience, s’efface dans un hoquet. Coma vrille ses billes orageuses dans les siennes, les sourcils d’abord froncés, le front légèrement plissé, pour se détendre en quelques instants. Le ton reste sec, quand il déclare :

« Ne crois pas une seule seconde que j’accepterai que tu suives de telles recommandations. Le général est beaucoup trop exubérant. Et tu es sur mon territoire, ici. »

Elle reprend son souffle, s’amusant de l’intimidation qu’il essaie de mettre en place. Étonnant comme le peu de temps qu’elle a passé avec lui suffit déjà à lui montrer les fissures de sa carapace. Mais ce qui est plus étonnant, encore, c’est bien que ce n’est pas dans ses habitudes de déceler ce genre de choses chez les gens. Peut-être que si elle s’intéressait un peu plus aux autres, elle aurait eu quelques facilités à déceler expressions, changements d'attitude, et tout ce qui pourrait lui être utile en société… Elle n'a certes jamais fait beaucoup d’efforts et ne projette pas de changer de sitôt, même en sachant qu'elle rejoindra bientôt la Garde. Avec le temps, au fil des années, sa solitude est devenue sa meilleure amie. Elle est bien la seule à la côtoyer autant, en dehors de quelques rares exceptions, au club, et de ce qu’il reste de sa famille.

Coma s’éloigne déjà de ses grandes enjambées et, avant qu'il ne soit trop loin, voilà qu'elle lance :

« C’est compris, Capitaine ! »

L’air guilleret dans ses paroles font se retourner l’intéressé qui la regarde trottiner comme une gamine jusqu’à sa hauteur. Les mains dans le dos, l’allure dépareillée et un sourire malicieux au coin de la bouche, ce petit visage enfantin prend tout son sens. Coma se laisse même embarquer dans ce petit jeu.

« Cette virée en détention semble vous avoir fait un bien fou, recrue. Vous l'avez appréciée ?

— Mmh, c'était très agréable, en effet.

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, dit-il en levant les yeux au ciel.

— Quoi ? C’est vrai ! Rien d’insurmontable, j’attends ma prochaine sanction avec impatience.

— Oh, vraiment ?

— Absolument. Ça voudra dire que je t’aurais fichu en rogne juste avant. Tu penses bien, ça n’a pas de prix. »

Ils avancent côte à côte, cette fois, se jetant des coups d’œil entre deux phrases. Sur leur passage, les gens s’écartent. Beaucoup ne prennent même pas la peine de cacher leur surprise. Lexi relève à peine, trop occupée à s’attarder sur son supérieur. Elle est sûre qu’il vient de retenir un sourire, ce qu’elle ne fait pas de son côté, bien entendu.

Ils traversent de nouveaux couloirs – ou les mêmes, probablement, mais impossible pour Lexi d'en être sûre – jusqu’à la passerelle toujours pleine de monde. Le contraste avec le peu de mouvement qu’il y avait hier à son arrivée est saisissant. Lexi en profite pour glisser quelques questions, mine de rien, espérant pouvoir offrir à son cerveau un minimum de cohérence : pourquoi l’endroit était complètement vide, hier ? Où sont-ils exactement ? Comment la Tour tient-elle au milieu des nuages ? Comment ne finissent-ils pas carbonisés par le soleil ? Comment font les gens pour retenir le sens des couloirs, l'emplacement des pièces, alors que tout se ressemble tellement, ici ?

Lexi et ComaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant