Chapitre 42

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Dans sa cage vitrée, le corps démantelé tombe en lambeaux. Avachi, à moitié debout, les câbles épais reliant ses membres aux parois transparentes sont tout ce qui l'aide à ne pas s'écrouler. À plusieurs endroits, la chair est à vif, comme si elle avait brûlé, créant après la torture un cataplasme de sang coagulé. De nombreuses flaques marrons, presque noires, stagnent sur le sol, aux pieds de la victime. Ces derniers sont barbouillés, jusqu'aux cuisses, des mêmes éclaboussures qui tachent le bas du vitrage. Lexi n'a pas de mal à imaginer l'odeur dérangeante, bien que la cage ne laisse rien filtrer, et cela lui soulève l'estomac.

La créature a peut-être senti sa présence car elle lève péniblement le menton. Ses yeux fatigués tombent sur ceux, écarquillés, de la jeune femme. Son corps se balance légèrement, les bras étirés de part et d'autre, eux-mêmes retenus par le câblage, tels un pendu au bout de sa corde. Un son grave lui parvient, uniforme et doux, suivi d'une sorte de caquètement. Lexi s'approche mais elle n'a pas le temps de faire deux pas qu'Hayden lui barre la route. Deux autres personnes, une femme et un homme en combinaison bleu nuit, le rejoignent et tous trois forment un rang ridicule qu'elle ne tarde pas à percer.

Elle ne ressent plus rien qui ne soit pas son propre dégoût, papillonnant sur l'arrière de sa langue comme les relents immondes d'un produit avarié qu'on aurait mangé par erreur. Mais elle n'a pas besoin d'une nouvelle vague de souffrance, ni de l'écho violent de la haine qui se réverbère dans tout son être. En posant ses yeux sur les mains des deux inconnus elle aperçoit les traces qui assombrissent leurs gants : son cœur se serre, son estomac aussi. De la bile lui remonte l'œsophage.

« Vous êtes dégueulasses. »

Lexi chuchote mais la violence qui résonne dans ses mots les immobilise, alors qu'ils s'avançaient comme un seul homme, sans doute prêts à l'éloigner de force.

« Capitaine, vous n'auriez pas dû. Les autorisations sont restreintes, le général a été on ne peut plus clair là-dessus.

— Walberg vous a dit ce qu'il venait de se passer ? demande Coma en ignorant la femme qui vient de s'adresser à lui.

— Oui, Capitaine, répond-elle simplement, son collègue toujours silencieux à ses côtés.

— Et alors ? A-t-on déjà eu un tel cas de figure au sein de la base ? »

Cette fois, c'est l'homme en retrait qui prend la parole :

« Jamais Capitaine. C'est incompréhensible. »

Lexi profite de leur échange pour les contourner, dardant sur Hayden un regard mauvais quand il fait mine de vouloir l'interrompre. Jamais n'a-t-elle été si sèche, si distante, avec son frère. Qu'il participe à cette ignominie... Elle ne sait même pas mettre de mots sur ce qu'elle ressent. Il a l'élégance de baisser les yeux et de la laisser passer.

« C'est surtout impossible », dit encore la femme.

Son ton a quelque chose de suffisant, d'irritant. Lexi tente de l'ignorer pour se concentrer sur la pauvre créature qui la fixe intensément depuis qu'elle est entrée dans la pièce. Elle ne sait pas pourquoi elle est là, attachée et meurtrie, enfermée derrière cette vitre épaisse, mais elle est persuadée qu'elle n'a rien à y faire. Sa place n'est pas ici.

Ce qui attire d'abord le regard, ce sont les deux globes qui lui servent sûrement d'yeux. Ils se trouvent de chaque côté de son visage, parallèle l'un à l'autre, larges — à peu près deux fois plus grands que les leurs — et entièrement noirs. Ils luisent toutefois d'une centaine de petites étoiles blanches et bleues. Lexi croirait lever les yeux sur un ciel nocturne, en s'y plongeant. La créature est dépourvue de nez, elle n'a pas même d'orifices. Sa bouche est également invisible. Sur la peau grise, lisse, qui ne souffre d'aucune imperfection si ce n'est celles qu'on lui a infligées, ne ressortent que les deux sphères noires et brillantes.

Lexi et ComaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant