Allongé sur le lit, je mets mon casque. Une espèce de battement se met en œuvre. Est-ce mon cœur ? Peut-être. Si tel est le cas, alors il s'affole. C'est bien naturel après tout, me voici seul dans un lieu encore inconnu, et ce pour la première fois de ma vie. Un sourire satisfait s'affiche sur mon visage. Je ne suis pas inquiet, je suis ravi.
La musique pulse dans tous mes organes. Chaque cellule de mon corps prend une dose fatale de mélodie. Rien ne peut m'arrêter. Pas même le fil de mon casque. Le portable dans ma poche, je me lève, les yeux fermés, et commence à parcourir les deux couloirs. J'agis comme un animal qui, après avoir été enfermé dans une caisse de voyage, découvre les limites de son nouvel enclos.
Je ne rugis pas comme un lion et je ne miaule pas comme un chat. Non, je suis juste un tigre. Serait-ce prétentieux ? Non, je fais seulement référence à ma chevalière. Accrochée à mon doigt, ses yeux noirs transpercent en permanence mon corps. Elle m'a été offerte par ma famille lors de mon anniversaire. Ils sont là, je leur ai promis.
La bouffée d'oxygène que je suis en train de respirer est hypnotisante. J'ai l'impression de sentir mes poumons s'élargir. Ils semblent occuper tout l'espace qui leur est dévolu dans ma poitrine. Mon cœur, lui, accélère sans pour autant prendre de risques. Non, il suit juste l'évolution de mon âme.
Mes muscles, mon cerveau, mes organes, tous sont en train de se déployer en moi. Comme si ma solitude me libérait. Il fait chaud, alors j'ouvre les fenêtres. Je transpire, à courir ainsi dans chaque recoin de ma villa. C'est une villa à mes yeux. Elle est immense. Ma liberté cadrée est sans bornes désormais.
J'observe les toits d'Aix avec une ivresse totale. La nuit est tombée, quelques étoiles apparaissent. Aix est donc ce genre de villes. De celles qui nous autorisent à voir la vie nocturne. La lumière artificielle disparaît pour laisser place à la seule qui compte quand il est vingt-trois heures. Tout est si beau la nuit.
L'hilarité commence à redescendre. Je ne suis pas consommateur de substances addictives. Ni drogues, ni alcool, ni cigarettes. Mon ivresse est intrinsèque, naturelle, profonde, permanente depuis que je suis arrivé ici. L'air serait-il saturé d'une substance inconnue ? Ce serait amusant.
Je referme délicatement les volets puis les fenêtres. Je ne tiens pas à avoir de visiteurs pendant que je m'assoupis. Je n'ai pas encore choisi ma chambre. Alors, parce que bien trop ivre de bonheur pour gravir les quelques marches de la mezzanine, je choisis celle du rez-de-chaussée.
Fermer les fenêtres, les portes ou les yeux ne suffit jamais à susciter mon sommeil. Non, ma conscience, ou mon inconscience, peu importe, prend le relai. Il n'y a pas de clef pour lui demander d'être silencieuse, le temps d'une nuit. Il faut subir ce châtiment ou, à défaut, le dominer. J'essaie de retenir la seconde solution la plupart du temps.
Ce soir, l'oxygénation de mon cerveau et de mon sang est bien trop élevée hélas pour parvenir à prendre le dessus. Écoutons alors la conscience et ses dérives pour savoir ce qu'elle a à nous dire. Parfois, l'état second dans lequel je suis me donne de précieuses idées pour résoudre mes problèmes juridiques ou personnels.
Pourtant, je n'en ai pas ce soir. Sans vouloir me montrer désagréable mais... Ma famille ne me manque pas. Je les sais en pleine discussion dans le salon à disserter sur mon avenir, ma folie, ma vie personnelle. Une folie douce, celle qui m'a conduit à venir ici seul. Une folie contrôlée car je les sais juste à côté. Indirectement.
Le tigre n'est-il pas, précisément, un félin fou ? Celui qui, pour se protéger et pour protéger les autres, serait prêt à montrer les crocs ? Le félin de ma chevalière a la gueule ouverte, les yeux noirs de pierres et des poils grisés d'argent. Je pourrais sans problème y insérer une dose de poison sans susciter l'attention de ma cible.
Je suis un agent secret fondu dans la peau d'un tigre. J'éliminerais mes futurs concurrents à coup de chevalière. Je ne laisserais aucune trace. Personne ne pourrait m'identifier. Une fois mon objectif atteint, je leur enverrais l'antidote. Après tout, ce poison ne serait qu'éphémère.
Ni preuve, ni coupable. Mon esprit juridique revient à la surface. Décidément, il se fait bien présent en cette première nuit aixoise. D'autres esprits auraient pu me hanter. Ce fut l'invitation de mon frère lorsque je quittais le domicile familial. Profiter de la distance et de vivre seul pour faire de belles rencontres.
Nous ne partageons pas exactement la même conception de la rencontre. Disons que... Je suis capable des deux extrêmes. Une fois, en passant, dans une maison inconnue. Ou à l'inverse, la nécessité de multiplier des verres, des dîners, des loisirs. Des rendez-vous galants en somme. J'aurais pu terminer mon premier jour ainsi. A céder à un instinct vif. Ce ne fut pas le cas. Patience.
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Ultime évanescence (BxB)
RomanceA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...