Assis sur le fauteuil, j'ignore tout de l'identité de l'intrus. Je sens mes doigts trembler. Tous mes muscles se figent. J'ai osé. Je l'ai embrassé. Après une hésitation sans fin. Il n'a pas bougé, mais cela ne veut rien dire. Je suis tétanisé.
« Excusez-moi de vous déranger, Monsieur Markarian, mais je tenais à vous dire que j'étais navrée de mon retard ainsi que du dérangement causé par mes étudiants. Je ne suis pas parvenue à me dégager à temps d'une réunion. Aussi, j'ai appris que Monsieur Grenelle était ici et je souhaitais plaider sa cause si jamais vous aviez envisagé une sanction, étant donné qu'il est le délégué de ce groupe ».
En dépit de l'attention louable de ma professeure, je crains qu'elle ne se soit fourvoyée sur les raisons de ma présence dans ce bureau. Ce qui ne fait qu'aggraver mon inquiétude quand je constate le malaise d'Evan en écoutant sa collègue. Je ne regrette rien mais, en même temps, je sens grandir en moi une profonde gêne.
« Ne soyez pas inquiète, Enzo est ici au sujet du tournoi auquel il participe. Il est vrai que votre groupe a perturbé la quiétude de ma réflexion, mais rien ne justifierait qu'Enzo soit sanctionné en lieu et place du groupe ».
Sa dernière phrase ne semble pas avoir le même destinataire. Il me regarde, de haut, toujours assis sur son bureau, puis se ressaisit et se dirige vers sa collègue.
« Puis-je vous emprunter votre étudiant quelques minutes encore ? Je souhaiterais ajuster la stratégie établie pour le tournoi.
— Bien sûr, je vous en prie, je suis convaincu que Monsieur Grenelle a terminé la dissertation, alors que je comptais laisser du temps au groupe pour poursuivre. Revenez dès que vous aurez terminé.
— Merci Madame, lançai-je en me retournant, par politesse
— Un excellent cours à vous » termine Evan avec un sourire forcé.
Je l'entends fermer la porte avec douceur et revenir sur son bureau, cette fois-ci directement devant moi. Je lève la tête, toujours aussi sonné, et attends la sentence.
« A-t-elle raison, vous êtes en avance sur votre groupe ?
— En effet.
— Vous êtes donc un étudiant de grande qualité, pour vous investir à ce point. Le tournoi, le colloque, les cours. Je comprends que mes collègues vous aient recruté.
— Merci beaucoup, dis-je, gêné, ne sachant pas s'il compte aborder mon acte.
— En revanche, Enzo, je dois vous avouer que je ne sais que penser de ce geste.
— Si j'ai été déplacé, je vous prie de m'en excuser.
— Vous ne m'avez pas volé un baiser, Enzo, ni forcé. Ne soyez donc pas inquiet sur ce point. Je suis simplement désarçonné. Vous n'êtes pas mon étudiant cette année, je vous le concède bien volontiers. Mais vous êtes inscrit dans cette faculté. Une université dans laquelle j'enseigne, dans laquelle j'exerce des responsabilités. Vous... Vous me placez dans une situation complexe. Dites-moi la nature de cet acte, je vous prie. Un défi ? un jeu ? »
Je bondis de mon fauteuil. Comment peut-il croire un seul instant que ce soit un jeu. Il comprend immédiatement et se corrige.
« Ou bien est-ce le bien connu prestige de la fonction d'enseignant qui vous donnerait des envies moins avouables.
— Vous n'êtes pas l'objet d'un défi ou d'un fantasme, Evan. Vous avez juste complètement perturbé la personne que vous avez devant vous.
— Perturbé ?
— Le fait que vous soyez enseignant m'importe peu. Pardon d'avance mais, regardez-vous, d'abord. Votre prestance, votre physique, je ... Pardon, je ne devrais pas dire ceci, mais vous êtes attirant. Ajoutez à cela cette aisance pour me parler, votre manière d'être, le jeu d'équilibriste entre le défi et la bienveillance. Vous semblez d'une intelligence émotionnelle rare et vous avez réussi l'exploit de me perturber ».
Evan est cramoisi. Je lui ai dit la vérité sans pour autant être capable de la développer.
« Je suis sensible à votre propos, Enzo. Je vous reconnais de très grandes qualités humaines et intellectuelles, sachez-le. En revanche, je n'ai pas le droit de commenter votre physique. Comprenez-moi. Vous êtes un étudiant et... L'idée de vous voir sous un autre angle dépasse mes capacités.
— Voulez-vous dire que vous embrasser vous a mis mal à l'aise ?
— Je vous dois d'être honnête après une telle sincérité de votre part. Non. Notamment parce que j'ai répondu à ce baiser. Mais maintenant, oui, vous regarder et vous parler de ceci me gêne. Je suis désolé Enzo, réellement, mais ce n'est pas possible ».
Je sens l'émotion me submerger. Une tempête négative qui n'est pas compensée par la vague positive. Je suis mon instinct et plonge pourtant dans la deuxième. Je l'embrasse cette fois-ci sans réserve et il ne me résiste pas. Après dix ou quinze secondes d'intense jeu de lèvres, je me retire. Il me regarde dans les yeux et saisis mon cou avec une main.
« Je vous prie de m'excuser, Enzo, mais ceci ne doit plus se reproduire.
— Je le comprends, Evan. Pardon d'avoir tenté.
— Vous avez suivi vos émotions et c'est ce qui fera de vous un excellent juriste.
— J'espère que vous n'allez pas abandonner le tournoi à cause de moi.
— Vous pouvez compter sur moi pour continuer à vous aider. Je vous en fais la promesse ».
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Ultime évanescence (BxB)
RomanceA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...