Je range mes mains dans mes poches. Je n'ai qu'une envie, emmener Evan loin d'ici et que nous nous retrouvions dans son bureau, chez lui, peu importe. Je retrouve ici le comportement décalé de ma famille. Rien de méchant, rien de désagréable, simplement un manque de compréhension. Un léger décalage.
Le fait est que, quand un angle d'un seul petit degré vous dévie, plus le temps passe, plus les rails s'éloignent. Le moindre comportement, la question au détour d'une discussion, le geste mal compris, tout ceci ajoute à la confusion. Le degré de déviation devient un écart insurmontable.
Alors, quitte à être éloignés mentalement, autant l'être physiquement. Ce fut un succès. Le quotidien a permis d'échapper aux déviations, aux décalages. Il a fallu qu'il vienne ici, sur mon terrain. J'ai commis l'erreur de les faire se rencontrer. Je n'aurais pas dû. Je ne l'ai pas anticipé.
« Je ne comprends pas pourquoi vous portez encore les bijoux de l'autre alors que le procès est fini.
— Nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous revoir, depuis la fin du tournoi, voyez-vous. Effectivement, vous avez raison, il est temps de réparer cette méprise. Et ce d'autant plus que je suis convaincu que votre frère n'a guère besoin d'un tel pendentif pour réussir la suite de ses études ! »
Evan joint le geste à la parole et amène ses mains à son cou. Cependant, et je suis le seul à pouvoir le constater, ses doigts ne parviennent pas à trouver le fermoir. Ils vibrent, ils sont bien trop instables pour y parvenir. Pendant de longues secondes, ses ongles ratent la chaîne. Jusqu'à ce moment.
« Je ne veux pas ».
Je regarde Evan dans les yeux. Je n'ai aucune envie de le voir se détacher du tigre et il est hors de question que je quitte, ainsi, sans un mot, sans un remerciement, son pendentif.
« Qu'est-ce que tu racontes, petit frère ? Tu ne vas pas lui en faire cadeau.
— Même si telle était mon intention, cela ne te regarderait pas. Et pour l'instant, je n'ai pas envie qu'Evan quitte le pendentif. C'était un échange, un prêt mutuel, basé sur la confiance et sur le courage dont j'avais besoin pour réussir ce tournoi. Il faut que je lui parle personnellement avant.
— Faut le dire si je suis de trop. On dirait que tu... Non... Enzo... Au téléphone, le prof dont tu m'as parlé, c'est lui ?! »
Evan, qui avait rapidement laissé tomber ses mains, se crispe et me fixe, interrogateur.
« Ah, vous ne le saviez pas ! Mais je peux vous le dire, moi ! Je crois bien qu'il craque pour vous ! Je comprends mieux l'histoire des colliers...
— Ce ne sont pas des colliers, croyez-moi » lance Evan, exaspéré.
Cramoisi, je n'ose pas regarder mon amant. Quant à mon frère, je retrouve son comportement déplacé habituel. Et si nous n'avions pas été intimes, comment un enseignant de droit aurait-il réagi face à de tels propos. Je regrette tant de l'avoir emmené ici. Nous aurions dû reporter la soirée.
« Si nous pouvions changer de sujet, s'il vous plaît... tentai-je.
— Je crois que nous devrions tous rentrer chez nous, assène sobrement Evan.
— Bon, comme j'ai compris que vous aviez des choses à vous dire, je vous laisse ! ».
Et il s'en va, ainsi, repartant à la table pour boire un verre de plus.
« Je suis désolé de t'avoir fait vivre cette soirée. Tu as dû être extrêmement mal à l'aise.
— Rien ne s'est déroulé comme prévu. Même si j'aurais préféré ne pas le voir, notre serveur aura évité une confrontation sans doute moins facile à gérer.
— J'espère que tu ne m'en veux pas, Evan.
— Tu n'es pas responsable des propos de ton frère, aussi inintéressants soient-ils.
— Pour ce qu'il a dit, tu sais, pour la première fois... ».
Evan me sourit et s'approche de moi. Sa main flirte avec mon cou et descend sur l'épée. Ses doigts jouent tout autant avec les pierres qu'avec ma peau.
« Au regard de l'audace dont tu as fait preuve quelques jours après, rien ne me surprend. Mais qu'importe. Je n'avais aucune envie de me défaire, ce soir du moins, devant lui, de ton tigre. Quant à mon épée, je la récupèrerai dignement, en temps utiles ».
Qu'importe le monde qui nous entoure, rien ne parvient à nous empêcher de nous embrasser.
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Ultime évanescence (BxB)
RomantizmA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...