« C'était ... calme ».
Décidément, je me demande comment j'ai pu réussir à les amener ici. Même si nous sommes dans le même groupe de travaux dirigés et que nous partageons désormais de très nombreuses soirées ensemble à tenter tant bien que mal de répondre aux exigences de nos enseignants, nous sommes profondément différents.
L'amateur de danse que je suis était très inquiet en arrivant à Aix. J'ignorais tout de la scène artistique ici. C'est pour cette raison qu'en dépit de mon intérêt modéré pour la musique classique, j'ai souhaité venir ce soir. Découvrir les propositions de ma ville d'accueil. Le lieu est moderne, tout d'abord.
En revanche, quelle surprise à l'écoute de ces morceaux. Je ne connaissais absolument pas le compositeur, mais je me suis laissé bercer comme un enfant. Ce n'était pas calme, c'était magistral. Il faut être un génie pour provoquer avec un assemblage de voix et de quelques instruments une telle émotion.
« Personne ne vous en voudra si vous partez à l'entracte, leur dis-je. Vu le programme, je pense que la deuxième partie sera dans la même tonalité ».
Je n'ai pas besoin d'insister davantage pour voir mes camarades acquiescer. Je les raccompagne jusqu'à l'entrée du théâtre, sans pour autant en sortir. Je les salue et les remercie d'avoir fait l'effort de m'accompagner. Après tout, leur présence ici n'est due qu'à la mienne. Je ne peux qu'apprécier leur geste.
La tête encore embrumée par la musique et ce sentiment amical, je me retourne et constate une masse devant moi, sans bouger. Le temps de lever la tête, une voix m'arrive aux oreilles. « Enzo ? ». Non... Deux semaines que je m'efforce de ne pas penser à lui, de ne pas faire émerger dans ma conscience son image, de ne pas raviver le souvenir de nos lèvres.
« Bonsoir Monsieur, articulai-je lentement à défaut d'avoir d'autres mots à prononcer.
— Comment vous portez-vous ? »
Au regard des pensées qui viennent de m'effleurer l'esprit, sans doute suis-je mal à l'aise.
« En pleine forme Monsieur ! Heureux d'être ici, même si mes camarades viennent de partir. Et vous ?
— Je viens seul au théâtre. C'est mon jardin suspendu, solitaire et serein.
— Oh, et bien, excusez-moi, je ne veux pas troubler votre...
— Voyons, Enzo, je vous en prie. Vos amis vous ont donc abandonné ? Quelle honte, juste avant Couson. Saisissez votre chance, tendez l'oreille comme si vous étiez seul avec l'orchestre et les chœurs. J'espère que vous aurez alors la chance de connaître la même vie spirituelle que celle des compositeurs ! »
Son enthousiasme est débordant. A-t-il seulement une activité dans laquelle il ne met pas toute son âme ? La cloche nous rappelle à l'ordre et, frénétiquement, Monsieur Markarian commence à se diriger vers sa place. Nous nous saluons poliment alors que je ne manque pas de le remercier pour son conseil.
Essayons. Si lui parvient à entrer dans un autre monde quand il vient ici, pourquoi ne pourrais-je pas, après tout ? Je ferme les yeux, oublie la salle, les spectateurs, la lumière, le fauteuil. Je suis partout à la fois, à l'écoute de chaque note, de chaque mot. Je suis en apesanteur. Vais-je le croiser dans cette transe mystique ? Impossible. Le concert se termine.
Arrivé, sonné, à la sortie, je vois au loin un homme appuyé sur un des murs. Il a dans ses mains une cigarette électronique, une chemise or que je n'avais pas remarquée dans l'enceinte du théâtre. Il fume avec élégance, sans intoxiquer ses poumons. L'objet brille grâce à la lumière. Non. C'est une bague. Une pierre. Je m'approche, absorbé.
« Avez-vous suivi mon conseil, Enzo ?
— Oui... Oui ! Quelle expérience ! Merci beaucoup.
— Avec plaisir, continue-t-il en relâchant la fumée entre ses lèvres. Voici que je les fixe... Je comprends désormais leur goût. Ce côté sucré...
— Je, je suis désolé mais il faut que je rentre, demain, j'ai cours... Vous l'imaginez... »
Il ne me répond pas et nous marchons côte à côte dans les grandes rues d'Aix. Jusqu'à ce que nos chemins se séparent à une intersection. Nous n'avons pas dit un mot. C'est étrange. Mais j'ai apprécié ce silence. La musique m'est restée en tête. Il me tend sa main. Je la serre.
« Votre bague est resplendissante, Monsieur.
— Un diamant offert le jour où je suis devenu docteur. Un cadeau à moi-même.
— Ce fut une excellente idée, alors. Belle soirée Monsieur. ».
Nous nous sourions, tandis qu'il me souhaite une agréable nuit, avant de disparaître en son sein, laissant derrière lui une nuée de fumée.
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Ultime évanescence (BxB)
RomansaA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...