Enzo - 3 -

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Ma chemise blanche semble se faire le reflet de ma peau. Fort heureusement, ce pantalon marron permet de mettre en valeur mes yeux. J'ai la chance de ne pas avoir hérité d'iris bleus, ce qui aurait été fatal pour mon bien-être au soleil. Je rougis suffisamment vite pour ne pas avoir à être ébloui à chaque sortie.

Nous n'avons eu aucun cours, aucune réunion, aucune conférence. Pourtant, nous devons, en cette fin de mois d'août, nous rendre malgré nous sur les bancs de l'université. Nous avons tous reçu un message du secrétariat de la licence nous demandant, sur ordre du Docteur Evan Markarian, d'assister à la conférence inaugurale donnée aujourd'hui.

Je croyais que seuls les médecins pouvaient se faire appeler docteurs. Peu importe, encore un de ces vieux professeurs qui, accroché à son grade, ne peut s'empêcher de le placer à chaque conversation ou dans ses écrits. Certes, il a fait huit ans d'études, mais moi j'en suis déjà à trois ! Je crois avoir vu ce nom dans le programme de l'année, en plus...

Je finis d'arranger la mèche rebelle qui ne cesse de tomber sur mon front et m'installe dans l'amphithéâtre. Nous ne sommes pas seuls, vu l'âge moyen de l'assistance. Je suis impressionné de voir autant de monde pour une conférence universitaire. Jusqu'à présent, les rares réunions que j'ai connues n'attiraient que cinquante ou soixante personnes.

Je ne connais pour l'instant personne, du moins, sérieusement. Ce sont des membres d'associations qui ont favorisé notre intégration qui me reconnaissent. Quelques autres camarades de promotion me saluent, croisés dans les couloirs. J'attends patiemment que le cérémonial commence, je n'ai guère d'autre choix.

« C'est Evan qui commence ?

— Il commence, il finit, il intervient au milieu. C'est lui le président cette année ! ».

J'entends la discussion de deux professeurs de droit qui viennent de Paris. Evan, j'imagine que c'est celui qui nous a forcés à venir. Ce serait étrange qu'il y en ait plusieurs. Déjà qu'un, c'est surprenant... Quelle idée d'appeler son fils Evan. La salle se tait, un homme rentre, puis des étudiants. Je me décide à observer convenablement la scène.

Ledit Evan n'est pas du tout tel que je l'avais imaginé. Il est jeune. Il porte la robe de cérémonie. Impressionnant. Je n'arrive pas à savoir s'il l'est lui ou si la robe joue en sa faveur. Je suis un peu déstabilisé. Sa voix résonne, et je l'écoute. Je ne peux rien faire d'autre. C'est ainsi. Je peux seulement le regarder. Voir son teint légèrement hâlé. Son sourire à peine forcé.

Son discours sur l'enseignement ne ressemble pas à celui que j'ai connu. N'aurais-je croisé que de médiocres enseignants ? La salle rit mais fait pâle figure face à ses blagues acides et assassines. Il est finalement amusant, le Docteur Markarian. J'ai toujours aimé qu'on bouscule un peu les ordres établis. Un peu. Je suis en droit après tout.

J'imaginais qu'il avait appris par cœur son intervention tant son ton est assuré et les réponses structurées. Mais il vient d'expliquer son fonctionnement. Rien de tout ceci visiblement. Quel est donc cet homme qui vient de me mettre une claque sans que je ne le veuille ? Comment ose-t-il me déstabiliser alors qu'il ne me fait pas même cours ? Nous avons droit à des questions, je ne vais pas me priver. Je peux jouer moi aussi.

« Monsieur, nous vous écoutons, me lance-t-il.

— Vous arrive-t-il d'appréhender ? d'être préoccupé ? Il sourit narquoisement.

— Dites-moi, Monsieur, êtes-vous déjà entré dans un tribunal ? avez-vous observé le procureur, les avocats, les juges ?

— Oui Monsieur.

— Alors vous connaissez la réponse. Si je n'appréhende pas avant un cours, une audience, une réunion, une conférence, alors tout ceci n'a qu'une signification. Je n'estime pas les personnes présentes.

— L'avez-vous été en rentrant ? Vous étiez souriant, lui demandai-je avec le même sourire.

— Assurément. Mais, voyez-vous, Monsieur, je suis un homme gai. Il suffit de croiser le regard amical de certains collègues ou de vos compères pour retrouver mon élan. L'humanité retrouvée, en quelque sorte. Vous ne voudriez tout de même pas me faire passer pour un homme manipulateur ou faux, jeune homme.

— Je... Non, excusez-moi.

— Première erreur, sourit-il en se délectant de mes excuses. Gardez vos mea culpa pour d'autres. Deuxième erreur : et s'il fallait être manipulateur ? Comment gagner un procès sinon ? Qu'en dites-vous ? ».

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant