Evan - XIII -

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Nous voici d'ores et déjà début octobre, ce qui signifie qu'un mois de cours et de vie universitaire vient de s'écouler. Chaque année le même refrain, la même frayeur, le même effroi. Le temps me jette d'un jour à l'autre sans que je ne parvienne à en avoir conscience. Ce fut une de mes forces durant la thèse ou lors de mes études : j'ai besoin de peu de sommeil.

Un mois depuis le congrès, un mois depuis l'arrivée des nouveaux étudiants, un mois aussi à devoir gérer les étudiants de Masters qui sont horrifiés par la montée du niveau. Je m'évertue pourtant chaque année à les prévenir, à leur rappeler que l'entrée en deuxième cycle est un moment spécial pour leur vie académique.

Seul l'examen d'évaluation du début d'année leur permet de comprendre le fossé. Ils sont sélectionnés à l'entrée du cycle, ils savent donc qu'ils sont parmi les meilleurs de leur promotion voire de France, si l'on considère les candidatures externes que nous recevons chaque année.

Cependant, je me garde bien de leur rappeler cette réalité. Il ne faudrait pas qu'elle leur monte à la tête. Sans chercher à les détruire par une pression croissante, loin de moi cette idée, je pense simplement qu'il n'est pas nécessaire de vivifier leur conscience avec une telle information.

Pourtant, si je devais être honnête, il suffit de comparer le nombre d'étudiants effectivement diplômés à l'issue des masters 2 de droit avec le nombre d'étudiants en première année pour comprendre combien nous sommes sélectifs et, par écho, combien ils sont doués. La comparaison avec une classe d'âge serait d'autant plus affolante.

Un mois, donc, à gérer une ambiance pédagogique bien particulière, tout autant que quelques activités annexes en licence ou encore de recherche. Irina et moi avançons progressivement dans notre réflexion et j'espère pouvoir publier rapidement cet article scientifique.

Le temps, par définition, s'écoule toujours à la même vitesse, et ce malgré ma perception. Fort heureusement, comme chaque année, un monumental rappel vient à moi. Le début de la saison au théâtre. Le bonheur s'approche de moi avec rapidité, même si le programme est particulièrement classique.

C'est du moins ce que je pensais ! Jusqu'à ce que je découvre combien il a été bouleversé. Arvo Pärt, le Requiem XIX de Laurent Couson et tant d'autres morceaux que j'aurai le plaisir de découvrir pour la première fois in vivo. Quelle chance. Je ne laisserais ma place à personne.

Je viens au théâtre seul. Deux raisons expliquent ce choix qui n'est pas aussi égoïste qu'il ne semble l'être. Premièrement, je suis un voisin agaçant qui ne tolère aucune perturbation dans l'écoute d'une œuvre. Un bruit de chaussures, un mouchoir, un sac qui tombe, un programme mal tenu, et me voici d'ores et déjà en train de déverser mes foudres sur mes voisins.

Deuxièmement, que ce soit durant l'entracte ou bien après le concert, je suis mutique. J'ai besoin d'un moment pour me remettre de mes émotions, pour absorber le choc que les ondes ont créé sur, chez et en moi. Face à la musique, je suis résilient, mais avec le temps. Je serais donc un piètre accompagnateur.

Me voici donc seul à parcourir les rues d'Aix pour me rendre à temps au théâtre. Mon emploi du temps ne me laisse en général que quelques minutes de répit avant de devoir m'activer et commencer une marche que je qualifierais de très active afin d'éviter de ne manquer le début du concert. Le personnel d'accueil me connaissant, je n'ai jamais eu de problèmes pour entrer malgré parfois une ou deux minutes de retard.

Aujourd'hui, point de course, point de tension. Je suis parti avec trente minutes d'avance de chez moi, puisque je n'avais aucun engagement à la faculté. Je serai donc sous peu arrivé, pouvant profiter pour une fois du lieu, de ma place, voire du bar. Tout se déroule sans encombre et libéré de la contrainte du billet, je peux enfin flâner.

Jusqu'à ma place, bien entendu. Ce serait un comble d'arriver quelques secondes avant l'extinction des lumières tout simplement parce que je me serais perdu dans mes pensées et dans les couloirs. Le programme en mains, je commence mon instructive lecture jusqu'à ce que les musiciens entrent en scène. Ma vie artistique débute enfin.

Les extraits d'Arvo Pärt sont époustouflants de retenue et de légèreté. Chaque note suscite une émotion, avant que la suivante ne vienne saper le fragile équilibre que vous étiez en train de tenter de construire. Je déplore que l'entracte arrive si tôt, ce qui signifie que la deuxième partie ne donnera plus aucune chance au compositeur.

Je connais Laurent Couson pour ses morceaux mêlant musique électronique et approche classique. J'ignore comment il a pu glisser vers l'art sacré. Je suis à la fois impatient et méfiant. La musique sacrée mérite un respect que je ne saurais voir bafoué. Le compositeur étant absent, je ne pourrais de toutes manières pas me plaindre.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant