Evan - XXVII -

260 36 0
                                    

J'attendais ce mois de juin avec autant d'impatience que d'inquiétude. Ces dernières semaines ont été belles, parce qu'elles m'ont permis de renouer avec de vieilles habitudes. L'Opéra, la solitude dans la ville, Axel, Irina. Enzo a été submergé par ses examens, puis par les vacances bien méritées. Il a rendu visite à sa famille, aussi.

Le mois de mai fut celui des espérances. Mon statut expire fin août et il m'a fallu candidater dans chacune des universités ou écoles qui proposait un poste d'enseignant-chercheur ou encore de professeur associé. Lorsque l'on est spécialiste de la Constitution ou des institutions publiques, la tâche est assurément délicate.

Toulouse, Marseille, Strasbourg, Rennes, Lyon, Paris, Lille. J'ai candidaté partout où les profondeurs de l'administration publique me guidaient. J'ai suivi les procédures, j'ai soumis des dossiers aux longueurs parfois inquiétantes. Mon curriculum vitae a rapidement atteint les trois pages maximales exigées par les institutions.

Hier soir, Axel ne cessait de m'interroger sur Aix. Après tout, jeune docteur et jeune enseignant-chercheur pendant un an, un recrutement semble naturel. Il faut cependant comprendre qu'au-delà des volontés et des espérances, malheureusement, existent des exigences administratives et financières qui nous échappent.

Quelques coups sont donnés contre ma porte. Aussitôt, elle s'ouvre. Je sais donc qu'il ne s'agit pas d'un étudiant.

« Bonjour Evan, je voulais te voir... me dit Irina, avec une voix d'outre-tombe.

— Irina, je suis heureux que tu viennes ici, nous ne nous sommes pas croisés depuis la fin des examens.

— Je suis désolée... »

Irina s'effondre sur le fauteuil et me regarde avec une immense tristesse dans les yeux. Ses mains tremblent légèrement. Même posées sur mon bureau, elles restent incontrôlables.

« J'aurais tellement aimé qu'un poste soit ouvert...

— Irina... »

Je m'assois à côté d'elle et prends ses mains. Ses yeux sont rougis par les quelques larmes déjà sèches sur son visage. Sa peine me rend moi-même mélancolique.

« Un seul poste de professeur est ouvert à Aix. Pas même un de maître de conférences. C'est ainsi. Le jeu et ses règles.

— Tu sais que nous avons tout fait pour...

— Irina, je suis au courant. Vous avez déposé des dossiers à tous les niveaux, l'information m'est revenue.

— Tu ne nous en veux pas ?

— Pourquoi devrais-je ? Vous avez tout tenté. Même quand un parcours est plutôt bon, il est difficile...

— Tu n'es pas plutôt bon, et tu le sais.

— Je ne peux pas me permettre, pas aujourd'hui, lui souris-je sincèrement.

— Te voir partir ailleurs est une épreuve ».

Irina ignore de surcroît mon classement. Celui qui m'a permis de choisir l'une des plus prestigieuses institutions parisiennes. En septembre, je ferai mon entrée à Paris, aux côtés de professeurs que j'ai appréciés ou qui ont eu le plaisir de venir à Aix à la fin de l'été dernier. Je suis convaincu que l'initiative n'a pas manqué de plaire.

« As-tu eu les résultats ? reprend-elle.

— En effet.

— Marseille ? Toulouse ?

— Paris ».

Irina ne me regarde même plus et fixe désormais mon bureau. Elle se saisit de l'écriteau sur lequel est écrit mon nom.

« Ils n'imaginent pas la chance qu'ils ont.

— Tu ne veux pas savoir qui m'a recruté ? » lui souris-je, même si elle ne le voit pas.

Celle qui restera à jamais ma collègue ne détourne pas le regard et s'efforce de rassembler ses forces. Elle n'est pas prête à l'entendre, mais elle l'a compris. Sans doute est-ce alors encore plus délicat.

« Je sais juste qu'un constitutionnaliste était recherché à Sciences Po.

— En effet.

— J'espère que tu vas prendre la tête de l'école de droit le plus vite possible ».

Le projet est déjà dans mon esprit.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant