Enzo - 14 -

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Pour se faire pardonner de leur abandon au théâtre, deux de mes camarades ont décidé de m'amener en ce samedi soir à leur bar à cocktails préféré. En dépit d'un manque de motivation assez poussé, je n'ai pu refuser : d'abord parce qu'il s'agit pour eux d'un moyen de s'excuser et, ensuite, parce qu'ils avaient accepté de m'accompagner, après tout.

Je ne sais jamais comment m'habiller pour aller dans ce type de lieux. Une chemise me donnerait l'impression d'être en cours, alors que nous nous voyons précisément pour les oublier. Un simple tee-shirt pourrait paraître banal. J'opte donc pour un polo aux mailles serrées. Les manches longues me protègeront de la climatisation si nous sommes à l'intérieur.

Je les rejoins vers vingt-et-une heures. Nous sommes seulement tous les trois. La discussion débute évidemment par quelques anecdotes de cours ou liées à l'université. Il s'agit-là de notre point commun initial, ce n'est donc pas surprenant. J'apprends ensuite que l'un pratique de multiples sports tandis que l'autre serait plutôt un joueur de jeux vidéo.

Le premier cocktail, pourtant peu alcoolisé, délie les langues. Nous arrivons donc à traiter du sujet majeur : les relations. Nous commençons pudiquement par nos familles, et je suis de fait le plus long, puisque j'ai du leur expliquer pourquoi je suis parti si loin de mes proches.

Logiquement alors, voici venu le moment tant attendu : les filles. Il me faut une seconde pour leur dire que mon attention se porterait plutôt sur le garçon de l'autre côté du bar, avec ses amis. Le deuxième cocktail empêche ma vision d'être nette mais je le suppose plutôt agréable à regarder.

Mes deux camarades font fi de mon annonce et transposent les questions jusqu'à présent anticipées pour la gent féminine en des interrogations dédiées aux hommes. Nous discutons à cœur ouvert, sans préjugé ni curiosité malsaine. Je ne cache pas mon abstinence depuis mon arrivée, tout en omettant évidemment l'instant avec Monsieur Markarian.

Nous continuons à siroter notre troisième cocktail quand je constate que le bel homme du fond du bar se lève. Je me retourne et observe discrètement son arrivée dans le miroir. Mes deux camarades commencent à se dissimuler derrière leurs téléphones tandis que je reconnais la silhouette qui approche. Les deux peureux ironisent : ils pensaient que j'avais remarqué le voisin de l'inconnu qui se dirige vers le couloir qui conduit à la terrasse des fumeurs.

Non, j'avais bien, de loin, repéré un bel homme. Je n'imaginais cependant pas que ce serait lui. Une fois passé, mes deux voisins m'expliquent leur réaction : aucune envie de croiser un prof pendant une soirée. Leur réaction m'étonne. Je termine mon troisième cocktail et les toise du regard. Moi, je n'ai pas peur de le saluer.

Je me lève et emboîte le pas de Monsieur Markarian. La terrasse est au bout et est faiblement illuminée par quelques bougies. En dépit des trois boissons, je ne ressens qu'un seul effet de l'alcool : le culot. Je suis conscient de mes actes, simplement moins soucieux du regard des autres. Pas même du sien. Je le vois, je le salue. Il a toujours été respectueux, je le serai aussi.

J'arrive dans son dos et éclaircis ma voix :

« Bonsoir Evan. Vous allez finir par croire que je vous poursuis... Mais je me devais de vous saluer alors que je vous vois.

— Enzo, quelle jolie surprise. C'est aimable à vous. Belle ambiance, n'est-ce pas ? répond-il calmement mais dans un sourire sincère.

— Je suis venu avec deux autres étudiants mais ils sont trop timides. Ce sont eux qui m'ont fait découvrir le lieu. Ils ont visiblement bon goût si vous êtes ici.

— Il est vrai que vous avez toujours fait preuve de témérité, vous.

— En effet, dis-je en rougissant légèrement.

— Je vous remercie d'être venu me voir, Enzo. Vous m'offrez ainsi l'occasion de vous présenter mes excuses. Mardi, quand vous êtes venu vers moi à la fin du concert, j'ai été d'un accueil discutable.

— Oh, je...

— Comprenez bien que mon silence ou mes succinctes réponses n'étaient que le fruit de l'état d'esprit dans lequel l'ambiance musicale m'avait placé. N'y voyez rien de personnel, termine-t-il en posant sa main sur mon avant-bras.

— Je vous remercie d'être si prévenant, Evan. Je n'avais pas été embarrassé, ne vous inquiétez pas ».

Il acquiesce, sans que je ne sache exactement pourquoi, et range sa cigarette électronique. Alors qu'il se dirige de nouveau vers le couloir, il me lance :

« A l'occasion, d'ailleurs, prévenez-moi quand vous serez au théâtre. Je ferai un effort pour être plus bavard et nous pourrons commenter la représentation. Si vous en êtes d'accord. A moins que vous ne preniez goût vous aussi à la solitude bienfaitrice.

— A ce sujet, puis-je vous dire un mot de plus ? ».

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant