Enzo - 28 -

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Evan daigne me suivre après quelques secondes d'hésitation. Nous traversons l'appartement pour que je puisse nous servir deux cafés. Une tasse chacun, je le force à s'assoir sur l'une des chaises et m'assois à cheval sur lui. Nos tasses s'entrechoquent.

« Ma réponse est à la fois rassurante et surprenante. Je crois, effectivement, ivre littéralement ou bien simplement mentalement, que j'ai pu avoir pour toi une attirance par-delà l'attraction. Le désir de ne te savoir qu'à moi, avec une connexion qui dépasserait celle du sexe dont nous avons profité jusqu'à la dernière heure de la nuit. Puis, sortant de mon état second, j'étais confus et mal à l'aise avec cette idée. Si j'étais amoureux de toi, il fallait donc que j'envisage de t'aimer. T'aimer en tant que compagnon, chez moi, ailleurs. Cette image m'aurait-elle plu ? Je ne crois pas. Savoir que j'étais ton seul amant a été une extase sans nom. Savoir que tu pourrais être mon compagnon n'a jamais été une projection satisfaisante. Alors, très rapidement, la question des sentiments a été évacuée. Et j'ai profité de toi, au sens utilitariste, pour ma jouissance sexuelle et mentale, et au sens le plus sincère. Je t'ai eu pour moi, en tant que confident, en tant qu'homme à mes côtés. J'ai profité de ta gentillesse, de ta bienveillance, de ton amitié, de ta confiance. C'est sans doute encore plus gratifiant que d'imaginer que tu puisses être mon compagnon ».

Au fur et à mesure, Evan s'enfonce dans mon torse, au milieu des deux faibles pectoraux que je tente d'entretenir.

« Rassurant et surprenant. J'aurais dit apaisant et fabuleux. Je n'ai aucune raison de remettre en doute tes propos. Je te crois. Merci de ton honnêteté ».

Je caresse ses cheveux et l'idée de ne plus les avoir à portée de mains m'attriste.

« Ce sont ces moments, précisément, qui me manqueront, reprend Evan.

— Ceux d'honnêteté ?

— Non. Ceux de vulnérabilité ».

Je prends en effet la mesure de la situation. Evan est assis sur une chaise, chez un étudiant, sans pouvoir bouger. Nous parlons à cœur ouvert, avec tous les risques que cela comporte. Nous sommes à genoux, l'un et l'autre, et la lame pourrait s'abattre à tout moment. Pourtant, étrangement, nous ne risquons rien.

« Tout va me manquer, lui dis-je. Ton parfum. Ton épée. Ta peau. Ta douceur. Tes jus de fruits. Je n'ai pas ton salaire pour me les payer. Ton bureau, aussi ».

Evan porte le pendentif et, à chaque respiration, je le sens se plaquer sur ma peau. Les trois rubis impriment, par la force des choses, une trace. Les bras d'Evan dans mon dos, je suis comprimé contre lui. L'intensité de l'étreinte me pousse à la décompression. Une ou deux larmes commencent à perler le long de mes joues.

J'essaie de me contenir. En vain. L'épée pourtant si froide, si rigide, par définition, commence à fondre. Une chaleur vive apparaît au creux de mon buste. Je commence à croire que toutes mes émotions sont en train de se consumer. Non. Je comprends l'origine de cette chaleur. Evan, comme moi, laisse échapper quelques larmes.

L'infâme liquide se faufile le long de l'épée et vient s'imposer sur moi. Impossible alors de contenir les sentiments les plus difficiles à maîtriser. Je suffoque et laisse échapper toutes les larmes qui se devaient de couler. Evan ne se prive plus et un goutte-à-goutte ignoble s'instaure, mes propres pleurs venant s'écraser sur les épaules d'Evan.

Il lève la tête, ses yeux rougis regardent ma bouche. Les miens, à peine plus présentables, ne quittent pas son visage. Je dois imprimer l'image de cet homme dans mon esprit, dans ma mémoire. Je ne le reverrai plus jamais vulnérable. Nous ne connaîtrons plus jamais cette intensité. C'est l'ultime instant. L'ultime évanescence.

Quelques minutes passent. Nos esprits reprennent le dessus. Nous essuyons les résidus de nos sentiments. Nous nous sourions, penauds, vacillants. Je l'accompagne dans la chambre récupérer ses affaires. Il s'habille et, surtout, rassemble les quelques documents et objets laissés ici. Il travaillait parfois quand je dormais.

Il ne manquait que ceux-là. Tous ses autres effets personnels sont déjà sur le point d'être transférés. Son dernier point d'attache était ici. Dans deux heures, son train part. Habillé, beau, séduisant, Evan se présente devant la porte. Il dépose au sol le contenu de sa main gauche pour m'inviter à lui.

« Je t'interdis de m'ignorer.

— Evan. Jamais.

— Parfait ».

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant