« Je ne m'attendais pas à une relation aussi solide.
— Tu doutais de moi ? lui demandai-je.
— Évidemment que non, la preuve, tu m'as invité à venir chez toi. Merci d'ailleurs, j'évite ainsi un hôtel.
— Ça va de soi. Quant à Enzo, l'ignorer était inconcevable. Peu importe que nous n'ayons eu qu'une aventure d'un an.
— Qui se prolonge, tout de même. Tu es à Paris depuis huit mois et pourtant vous vous écrivez toujours et vous vous voyez de temps à autres.
— C'est vrai, tu as raison Axel. Mais disons que notre relation a évolué. Désormais, nous tissons un lien intellectuel, mental, émotionnel. Le côté physique s'érode petit à petit, sans doute parce que la distance nous l'impose.
— Tu me fais penser à ce livre que j'ai récemment lu. Il faut que je retrouve ».
Pendant qu'Axel fait ses recherches sur son téléphone, je m'éclipse une seconde à mon balcon pour vapoter. Je n'ai pas perdu cette habitude en dépit des remontrances d'Enzo. Nous avons pris l'habitude de nous écrire des e-mails tous les deux ou trois jours, pour établir une forme de relation épistolaire.
« Arendt et Heidegger ! Tu connais ?
— On parle des deux monstres de la philosophie, comment ne pas connaître ? lançai-je effaré à Axel.
— Excusez-moi, monsieur le professeur, je ne suis qu'un pauvre critique, moi.
— Arrête tes bêtises. Oui, je me souviens de leur histoire, ils ont eu une relation quelques temps.
— Et, à cause de la guerre, et plus globalement de leurs évolutions dans la vie, ils se sont séparés et ont continué à s'écrire.
— Tu nous compares à eux ?
— Je dis simplement que la coïncidence est amusante. Un professeur, un étudiant. Une relation entre interdit et passion. Puis une rupture, mais qui ne suffit pas à rompre le lien. Ils n'ont jamais cessé de s'écrire.
— Je vois ».
Une telle réponse ferme la discussion. La comparaison est déplaisante car mon amour pour Heidegger n'est pas particulièrement développé. En revanche, j'apprécie Arendt pour sa vision du monde, de l'enseignement, de la politique. Penseuse du droit malgré elle, influence majeure pour les institutions.
Nous rangeons les restes de notre repas et je laisse Axel s'endormir sur le sofa. De mon côté, je rejoins mon lit pour écrire un message à Enzo.
Bonjour Enzo,
As-tu eu les résultats des partiels ? Combien de temps mettent-ils pour corriger les copies ? C'est tout de même exécrable. Enfin, tu me tiendras informé...
J'ai pensé à toi hier soir, lorsque j'étais à la Philharmonie. Une belle ambiance, pour écouter Chopin et le prélude de la goutte d'eau. Entre autres, bien sûr. J'ignore si tu connais ce versant-là du compositeur. Prends le temps de l'écouter et tiens-moi informé, si tu le veux bien.
Axel est venu à Paris ces jours-ci. Nous avons été comparés à Hannah Arendt et Martin Heidegger. Je pense que tu connais l'histoire, étant donné que vous avez eu un cours au début du semestre. Une relation épistolaire entre un enseignant et un ancien étudiant, après une aventure cachée des yeux de l'institution. Serons-nous aussi brillants qu'eux ?
J'imagine que le deuxième semestre sera intense de ton côté. Il va falloir que je vienne à Aix. Essayons de trouver un moment adéquat dans nos emplois du temps. Nous en discuterons de vive voix probablement. Appelons-nous.
Nos échanges me manquent. Beaucoup.
Evan.
Je ne me relis pas, j'envoie. A quoi bon relire ce que l'on sait être juste, vrai, profond. Il n'y a pas de retouche, pas de modification. Le réel s'impose à nous et il faut l'accepter. J'entends déjà les ronflements d'Axel et dois donc fermer la porte. Mon arrivée à Paris m'a permis de gagner du temps de sommeil.
A Aix, j'étais souvent insomniaque. Ici, je suis bercé par le rythme des gens. Comme si le fait d'être, moi, plus calme et tranquille, n'était pas un hiatus mais une bénédiction. Ironique, tout de même, alors que je viens de l'une des plus belles et sereines villes de France. L'essentiel est que j'en sorte vainqueur.
Les écouteurs dans mes oreilles, j'attends le sommeil avec Chopin.
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Ultime évanescence (BxB)
RomanceA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...