Evan - XII -

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« A combien de cafés es-tu, se moque Irina.

— Sans commentaire, s'il-te-plaît, lui soufflai-je en ironisant avec elle.

— Le fait est que de telles cernes donnent envie de savoir les raisons qui les ont causées... »

Irina est la curiosité incarnée. Quand j'avais assumé auprès d'elle, et de tant d'autres, mon attirance pour les hommes, j'ai cru qu'elle allait passer en revue l'ensemble des hommes de la faculté pour débusquer mes goûts. Pas de fascination malsaine pour l'idéal du meilleur ami gay, fort heureusement. Juste une habitude de commenter les hommes avec ses collègues féminines. Alors, si cette habitude avait pu s'étendre jusqu'à moi, elle en aurait été comblée.

Je n'ai que partiellement versé dans son jeu. Il m'est arrivé de lui raconter une ou deux nuits passées avec Maxence, sans m'étendre sur leur contenu ou sur le fait que Maxence n'était pas vraiment Maxence. En somme, Irina pense que je n'ai qu'un amant régulier. Elle n'a pas manqué de souligner la chance dont je jouissais, de compter sur quelqu'un de régulier.

« Tu meurs surtout d'envie d'avoir la confirmation de ton idée !

— Juste savoir si c'est une nuit de sortie avec Axel ou avec Maxence.

— Tu peux pencher vers le second ! m'amusai-je en constatant que pour elle, mes relations étaient effectivement binaires.

— Je vais devoir apporter du fond de teint si cela se reproduit ».

Irina éclate de rire avant de rentrer dans la salle. Cet instant suspendu était on ne peut plus nécessaire avant d'affronter la dure réalité. Enzo est là, je le sais. Mais je n'y pense pas. Jusqu'au moment évident des salutations avec l'ensemble du groupe. J'avais pris l'habitude de leur serrer la main, je ne changerai pas.

« Bonjour, Enzo !

— Bonjour Monsieur. Enfin, Evan ».

L'erreur pourrait être anodine. Mais elle ne l'est pas à cause de la poignée de mains. Enzo a serré ma main comme il a serré mon épaule. Avec fermeté et délicatesse. Enzo est en pleine forme. Je m'en réjouis. J'aurais été mal à l'aise de le savoir affecté par mon refus. Il ne doit en rien perdre confiance ou se démotiver.

« Bien, j'ai lu l'ensemble de vos messages sur le groupe, vous avez de riches et belles idées. Vous avez retenu ma suggestion autour de la leçon à donner aux médias et à la société. Votre argumentaire est bien construit et me semble adéquat. Reste désormais une question cruciale en suspens : qui allez-vous proposer pour défendre votre point de vue ? »

La chaise vide qui m'est réservée se trouve à côté d'Enzo, évidemment. Je la retourne et m'y installe à cheval. J'observe attentivement les membres du groupe, y compris Enzo, pour obtenir une réponse. Personne ne se dévoue. Je suis sur le point de reprendre la parole quand je suis de peu devancé.

« Il y a consensus moins une voix en ma faveur.

— Qui est la vôtre, je suppose ?

— En effet, je ne tenais pas à...

— Et le voulez-vous, Enzo ? C'est ce qui compte avant tout. Souhaitez-vous porter la voix de la société civile à ce procès ? Sentez-vous vos tripes vibrer à l'idée de devoir parler devant une Cour, certes fictive, de l'importance de l'exemplarité des sanctions contre les harceleurs ? Percevez-vous la folie géniale de l'avocat qui défend la société ? »

Je sais que je m'emporte, mais je vois dans les yeux d'Enzo une lumière s'allumer. Encore une fois, tout change, la couleur marron deviendrait presque beige. La clarté du jour s'engouffre dans ses pupilles qui diminuent et laissent place à une étincelle impitoyable. Enzo est hypnotisé par mon propos.

Je constate un effet similaire, tout de même moins intense, chez ses camarades. Quel bonheur de déceler une telle passion aussi tôt. S'ils deviennent avocats, juristes, magistrats, ils seront passionnés. C'est l'essentiel ! Et ils auront été formés à mon école, c'est un plaisir que je ne bouderai pas.

Enzo se ressaisit et hoche la tête en signe d'acceptation. Nous avons passé les deux heures à finaliser un premier discours. Le groupe est soudé autour de la parole d'Enzo. Pas de ressentiment, juste une alliance formée sur la base d'une cause qui semble leur être chère. Félicitations mes chers étudiants, vous entrez dans la cour des Grands.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant