La journée m'a éreinté. Émotionnellement. Je ne peux qu'accepter mon sort en constatant l'effet que Monsieur Markarian a sur moi. C'est indéniable, cet homme porte en lui l'essence même de l'attraction. Son parfum doit être un puissant filtre enchanteur pour parvenir à produire un tel effet.
J'ai observé mon groupe aujourd'hui, je ne suis pas le seul à lui porter une attention aussi vive. Il transcende l'esprit de groupe, il donne à tout un chacun une capacité à s'élever. Personne n'ose foncièrement le contredire ou lui tenir tête, tout simplement parce que, quoi qu'il dise, il arbore un sourire sincère et la volonté d'accompagner.
Au regard de ces deux dernières journées, j'imagine que je suis l'un des seuls à être capable de lui faire face. Avec respect, bien entendu, mais avec une irrévérence qu'il semble apprécier. Sans doute est-ce pour cela qu'il m'apparaît sous un jour différent. Alors qu'il est le professeur passionné par les autres, le voici comme un défi suscitant les tensions les plus profondes.
Monsieur Markarian ignore en effet qu'il fait vaciller mon désir initial de solitude. Je suis venu ici pour retrouver le lien qui m'unit à moi-même puis à ma famille. Une sorte de pèlerinage qui ne vise d'autre dieu qu'une forme de plénitude. Pour être pleinement là, il faut déjà être présent à soi.
Cette présence personnelle m'est souvent impossible quand je suis entouré. Je me sens incapable d'être moi quand des yeux se posent sur mon corps, mon visage, mes lèvres. L'observation me fait évoluer, me transforme. Je m'évanouis quand l'autre vient malmener mon être.
C'est, tout du moins, ce que je pensais jusqu'à avant-hier. Monsieur Markarian est venu lever le voile qui recouvrait toute une partie des relations humaines. Comme si je pouvais dévoiler jusqu'à la totalité de ce que je suis sans pour autant que ce ne soit problématique. Pour moi, bien entendu, pas pour les autres.
Je ne suis pas sensible à l'avis des autres, du moins consciemment. Seule leur présence produit des effets que j'ignorerais bien volontiers. Monsieur Markarian produit l'effet opposé. Sa seule présence, peu importe alors s'il daigne m'accorder son attention ou non, me pousse à offrir davantage de ce que je suis.
Il n'est pas une contrainte qui borderait ma personne, il est plutôt le pont vers d'autres fonctionnements, vers d'autres contrées. L'échange d'aujourd'hui m'a finalement rapproché de cet homme encore inconnu qui se comporte comme si nous étions, en même temps, des collègues depuis des années et d'illustres inconnus.
Je mentirais cependant si j'affirmais que mon regard sur lui n'est pas différent de celui des autres étudiants. Notre échange me permet, doucement, de me libérer des idées tumultueuses développées quand la Lune se lève. Je découvre son corps au plus près de moi, brisant toute intimité physique, mais pour le bien du groupe.
Je commence à croire que, à l'instar de milliers d'autres étudiants, je succombe au fantasme ultime du professeur qui pourrait traverser la ligne interdite pour offrir à son élève d'autres aventures. Sa chemise remontée sur ses bras et la finesse du tissu m'ont démontré combien son corps était développé, ferme.
Il se dégage de lui une aura incompréhensible associée à une odeur qui ne peut laisser insensible. Il suffit d'observer ses mouvements, son regard. Rien n'est laissé au hasard, comme si chaque geste était choisi pour répandre sur nous quelques particules qui favoriseront notre dépendance.
Cet homme est drogué, c'est une certitude. Il ne pourrait pas se passer de sa profession, si j'ai bien compris sa conférence et sa présence même, aujourd'hui, bénévolement, à nos côtés. Sans doute est-ce une drogue douce qui ne le mènera pas à la folie. Toujours est-il qu'il me transmet son addiction.
J'ai reçu en fin d'après-midi mon emploi du temps pour ce semestre ainsi que la liste des enseignants pour l'année. J'ai ainsi pu découvrir que je n'aurai jamais à le côtoyer lors de cours. Sans doute ma voie n'est-elle pas sa priorité. En somme, sans le tournoi, je n'aurais probablement plus jamais eu affaire à lui.
Je crois donc que, pour contrer cette addiction croissante, une décision s'impose. Je dois avancer vers lui, faire un pas assumé. Reconnaître qu'il exerce sur moi une forme de splendide emprise à laquelle je consens. Je n'ai d'autre choix que de savoir, sans quoi cette année de pèlerinage n'aura servi à rien.
Lui parler sans détour sera donc la prochaine étape.
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Ultime évanescence (BxB)
RomanceA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...