Enzo - 15 -

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Evan s'arrête aussitôt dans son élan et revient devant moi. Nous sommes seuls ici. La terrasse de ce bar est en réalité une cour intérieure. Les murs qui l'entourent n'ont aucune fenêtre, j'imagine donc qu'il s'agit de boutiques. C'est probablement indispensable pour ne pas incommoder le voisinage avec la fumée.

Evan, lui, ne poserait pas ce problème. Les vapeurs de sa cigarette sont fruitées et sucrées. Il me fixe avec attention, à l'écoute. Je me réjouis de porter mon polo à manches longues. Je sens un froid soudain me gagner, comme si, entre ces quatre murs, la chaleur était tenue à l'écart.

« Me permettrez-vous de revenir sur l'épisode du mois dernier ? Dans votre bureau.

— Je vous écoute. J'imagine que vous êtes préoccupé pour que ce sujet refasse surface ».

Sa voix est posée, grave mais maîtrisant à merveille les sonorités de chaque phrase pour que leur impact en soit démultiplié. Ce soir, mon professeur est de nouveau dans une tenue que l'on peut qualifier de décontractée, pour lui bien sûr. Sa chemise est bleu pétrole, ce qui peut sembler surprenant, et ce d'autant plus alors que son chino est bleu ciel.

« Vous embrasser a été une décision impulsive. A chacune des reprises. Mais je ne le regrette pas.

— Permettez-moi de vous contredire. Vous souligniez tout à l'heure ma prévenance, mais vous négligez votre propre comportement. N'oubliez pas le temps qui a séparé votre prise de décision et le geste. Vous m'avez laissé toute la latitude respectable pour vous donner une réponse. Ce que je n'ai, d'ailleurs, pas fait ».

Ses sourcils se froncent légèrement lorsqu'il termine sa phrase. C'est sans doute l'une des premières fois que je le constate aussi expressif, du moins sur son visage. Lors du tournoi, en conférence, son visage est figé, contrôlé. Ce n'est pas le cas ce soir. Ses yeux verts sont intenses, il se passe quelque chose dans son esprit.

A force de détailler son visage, j'en oublie son cou. Il porte un pendentif. Je ne l'avais pas remarqué : une épée surmontée de plusieurs rubis. J'imagine qu'elles simulent des gouttes de sang. Décidément, cet homme multiplie les surprises. C'est tout de même baroque pour un jeune professeur.

« Vous ai-je froissé ? m'interroge Evan, me sortant de ma phase d'observation.

— Excusez-moi, non, bien sûr. Je m'amuse simplement à constater que vous prenez à chaque fois ma défense.

— J'essaie simplement de rétablir l'équilibre. Nous avons été deux dans ces gestes. Je tiens à assumer ma part de responsabilité.

— Vous en parlez comme un délit, lui souris-je sans doute tristement.

— Alors, permettez-moi de corriger mon propos. Ma part d'engagement ».

Sa réponse est accompagnée d'un geste réconfortant : sa main se pose une nouvelle fois sur mon avant-bras. Il le serre avec une intensité sans doute similaire à sa conviction. Je ne nous simplifie pas la tâche, alors que je ne voulais que le remercier de son honnêteté. Ainsi que de son comportement.

« Je n'ai jamais eu de relations suffisamment sérieuses pour qu'elles aient à se finir. Sans comparer nos deux baisers avec des relations, je crois pouvoir affirmer que la délicatesse dont vous avez fait preuve est rare, Evan. Vous ne m'avez pas évincé, vous m'avez simplement fait part de votre sentiment, de tout ce que ces gestes ont pu susciter chez vous. Je me suis senti respecté en tant qu'homme. Vous avez pris acte de mes émotions sans les piétiner. Pour cela, je vous serai toujours reconnaissant. C'est grâce à une telle honnêteté que l'on peut avancer ».

Evan n'a pas bougé, sa main est toujours sur mon bras. Son pouce multiplie les mouvements circulaires. Ses yeux sont rivés sur moi, aucun bruit ne semble capable de le dévier de son focus. Il réfléchit, si j'en crois les légers mouvements sur son visage, et bascule la tête sur le côté.

« Dois-je comprendre qu'au-delà de vouloir m'embrasser, vous aviez d'autres intentions en tête ? Des sentiments ?

— Dans la mesure où je ne parviens pas, un mois après, à me défaire de votre image et du souvenir de cet événement, je crois pouvoir vous dire que vous n'êtes pas, ou du moins pas que, un fantasme passager.

— Un fantasme ?

— Vous essayez de glaner des compliments, Evan. Je vous ai d'ores et déjà expliqué combien vous étiez attirant, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

— Merci Enzo, je suis sensible à ... vos compliments, en effet.

— Ils sont sincères. Votre constance à mon égard mérite bien la vérité ».

Evan lâche alors mon épaule et sort de nouveau sa cigarette électronique.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant