Je m'effondre sur mon lit. La discussion avec mon frère m'a à la fois agacé et amusé. Il n'a pas totalement tort, et tel est le problème. Je le savais, je le sentais. Depuis ce matin, depuis l'amphithéâtre, depuis le bureau, tout a changé. Mes goûts en matière d'hommes sont aussi volatiles que ma façon de les pratiquer.
Il n'est donc pas surprenant que je me sente attiré par un homme plus âgé. Même si notre écart est particulièrement infime en comparaison de tant d'autres relations. Difficile de résister aux multiples atouts d'Evan. Ce soir, il est Evan. Aux vêtements sombres pour mettre en valeur la luminosité de ses yeux et de ses cheveux.
Il est l'Evan qui m'oblige à me taire, tout en le voulant. Il est celui qui me force à lui répondre tout en ne me laissant aucune chance de sortir vainqueur de nos joutes verbales. Il est l'éveil de mes sens, celui qui m'oblige à regarder en face la contradiction tout en me proposant une troisième voie.
Sait-il seulement ce qu'il crée chez moi ? A-t-il conscience qu'il contorsionne mes muscles, mes pensées, ma conscience ? Réalise-t-il la force mentale dont il jouit pour parvenir à m'obliger, en cet instant, loin de lui, à disserter sur sa force ? Aurait-il pu imaginer que mon esprit créateur l'avait déjà placé dans des situations improbables ?
Il est à la fois mon professeur et un homme de mon âge. Il a mon destin entre les mains et, en même temps, dans une affreuse simultanéité qui pourrait m'écarteler, il est d'une simplicité remarquable. Il a retiré sa robe magistrale sans se soucier de ma présence. Il m'a jeté dehors avec politesse.
Je n'ai pas croisé d'hommes depuis de longues semaines. Sans doute est-ce pour cette raison qu'il crée chez moi un tel émoi. Je suis le chat adolescent en proie à une tempête d'hormones qui prennent contrôle de tout mon être. Prodige de la pensée, Evan apparaît sous mes yeux, ironique.
« Enzo, je vous ai déjà dit que vous ne pourriez pas supporter cette vision... ».
Ses gestes expriment un tout autre sentiment. Il s'approche de moi, il me regarde de ses yeux verts. Deux diopsides viennent les remplacer. Même les pierres qui forment les yeux de mon tigre ne sont pas si profondes. Je me vois proie, sans pour autant en sentir les contraintes. Je ne peux bouger de mon lit, alors que rien ne m'en empêche. J'ai choisi d'être là.
Je n'arrive pas à parler. Il le sait. Il pose deux doigts sur ma bouche. Je ne peux que souffler le peu d'air que mes poumons arrivent à me donner pour exprimer mes sentiments. Dont j'ignore s'ils sont positifs ou non. Sans que je ne parvienne à comprendre comment, Evan est désormais, lui, allongé sur le dos.
Je suis sur lui, une jambe de chaque côté de son torse. Alors, dans un élan de folie, je laisse mon corps entier succomber à la pulsion qu'il m'offre. Dans un feulement discret, je m'offre à Evan. Le temps s'arrête, ma tête est propulsée en arrière tandis que mes mains se posent sur un torse invisible. Je tremble, je défaillis.
Je m'écroule.
***
Il est cinq heures du matin. Mon cycle de sommeil est déjà terminé. Je n'ose pas me lever, de peur de croiser le fantôme que la sublimation de mon esprit a produit hier soir. Les yeux baissés, je n'ose pas me saisir de mon téléphone, de ma couette, d'un vêtement. Je suis tétanisé.
Je ressens des tensions dans chacun de mes muscles. La nuit fut courte mais aussi, malheureusement, mouvementée. Assoupi avec un boxer pour seule tenue, la pluie s'est abattue sur Aix alors que ma fenêtre était ouverte. Le sol, les draps exposés à la fureur des nuages, mon être entier sont couverts de perles de pluie.
L'orage gronde tandis que j'observe le noir tranchant du ciel. Des éclairs apparaissent de temps à autres, sans pour autant illuminer le spectacle de ma chambre. Je subis le contre-coup d'une pulsion sauvage qu'un tigre digne de ce nom ne renierait pas. Mais je ne suis pas un tigre. Je suis encore le petit félin qui domestique ses désirs.
En dépit de la pluie, du tonnerre, des frissons, je parviens à regagner le salon et à me servir un long café noir. Je dois m'observer dans un miroir mental, ne perdons pas de temps. J'ai fantasmé sur Monsieur Markarian. J'ai espéré sa présence dans cet appartement. J'aurais voulu toucher sa peau, le côtoyer. Félin, je l'ignore, bestial, assurément.
L'année n'a pas débuté. Pourtant, ma rétine est brûlée par l'image d'Evan Markarian. Je me sens marqué. Il a libéré mes profondes pulsions. Il a dénoué en un regard mes désirs et il l'entretient. Il cherche un adversaire. Je veux être celui-là. Même si je dois subir les assauts lubriques de mes pensées. Il sera mon défi tremblant.
Je n'espère alors plus que cette image rétinienne ne devienne un jour évanescente.
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Ultime évanescence (BxB)
RomanceA Aix-en-Provence, la justice et le droit règnent en maîtres. Travailler ou étudier dans cette ville est un privilège que de rares chanceux connaissent. Que se passe-t-il quand, à cet honneur, s'ajoutent des rencontres imprévues et faisant vaciller...