Enzo - 1 -

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Six heures de train. Telle a été ma punition pour avoir décidé de partir continuer mes études loin de ma famille. Je n'ai pas eu droit à l'avion, juste à une multitude de trains. Je suis arrivé à Marseille vers quinze heures, dans cette ville que je déteste. Heureusement, du haut de la gare, contemplant la mer et méprisant le littoral, je n'ai fait qu'attendre un bus.

Deux minuscules valises m'accompagnent. Pour l'instant. Ce n'est que temporaire, évidemment. J'ai la chance d'avoir obtenu un logement de belle taille à Aix-en-Provence. Les économies réalisées depuis quelques années et l'accord et le soutien financier de ma famille m'ont permis de monter un dossier sans faille.

Comme souvent, je suis excessif dès lors qu'il s'agit de ma famille. Le train a été une punition, c'est vrai. Une punition pour que je reste une nuit de plus aux côtés de mon frère qui ne supportait visiblement pas que le cadet parte avant lui. C'est ainsi, il était préférable pour moi de poursuivre ma licence de droit à Aix.

Je reviendrai souvent, je l'ai promis. Je n'ai pas menti. Pas sur ce sujet du moins. Ils ignorent simplement que j'ai aussi besoin de m'éloigner de mes racines. Pas d'eux. Pas du tout. Juste du chez nous qui n'est pas qu'un chez moi. Il fallait que je le trouve, que je le découvre. Que je pose mes deux valises quelque part qui ne serait qu'à moi.

Le bus qui me conduit à Aix est climatisé, et je m'en réjouis. Je n'aurais pas pu supporter la chaleur lancinante de la Provence une heure de plus enfermé entre des murs de ferraille. L'absence de climatisation dans le train m'a fait souffrir. Ma peau est si blanche que le bronzage est un concept que je ne connais pas. La protéger est ma priorité.

Alors, pourquoi avoir choisi Aix, si ma tolérance à la chaleur et au soleil est si faible... J'imagine que mon cerveau oublie parfois ce détail. Il se concentre sur les chances données à des étudiants comme moi. Il se laisse bercer, aussi, par un cœur parfois un peu trop sensible qui s'offre aisément.

Il n'est pas berné, en revanche, par des fantasmes ubuesques. Je sais pourquoi je pars. Pour réussir ma licence et poursuivre dans un beau master. Celui qui me permettra enfin de plonger dans une spécialité judiciaire, peu importe laquelle. Je n'ai pas choisi, je n'ai pas décidé. Mais je pars aussi pour moi.

Pour retrouver des personnes que j'aime, de temps en temps. Je crois, paradoxalement, que ne plus vivre avec mon frère et mes parents me permettra de renouer avec eux de précieux liens. Nous n'étions que des colocataires. Petit à petit, je ressens un effritement. Une sensation tragique d'éloignement.

Alors vivons-le. Soyons éloignés. Nous serons plus proches. Je rentrerai souvent. Je vous raconterai tout. Et tout redeviendra comme avant. Je ne serai plus le petit dernier chouchouté. Bien évidemment. Mais nous retrouverons cette relation quadripolaire qui me manque tant.

Le bus est arrêté, j'ai de la chance. Je reconnais immédiatement l'homme qui me loue l'appartement. Un médecin qui habite à quelques rues d'ici. Nous avons échangé longuement par téléphone, il est heureux de m'accueillir. Après tout, un étudiant en droit ne lui causera aucun problème. Je lui en ai fait la promesse. Une autre à tenir, mais tout se passera bien. Je ne suis pas fêtard. Du moins, pas dans le mauvais sens.

La visite est rapide : un couloir et, immédiatement, une chambre. Celle pour l'été, pour être au frais. Un autre couloir mène au séjour et à la cuisine ouverte. Une mezzanine donne accès à une seconde chambre, pour l'hiver. La salle de bains, minuscule, de l'aveu du propriétaire, y est accolée. C'est parfait.

Je suis autorisé à sous-louer une chambre, tant qu'il est prévenu. Je ne suis pas confortable à l'idée d'avoir des inconnus chez moi. Je pense plutôt transformer une des deux chambres en sanctuaire pour mes études. Une sorte de bureau avec lit dans lequel m'enfermer pour m'obliger à me concentrer.

Ce n'est pas une punition, cette fois-ci. Non, juste une méthode que je dois m'imposer pour éviter que mon esprit ne se perde. Il se perd vite. Il se focalise sur mon cœur, sur les battements, sur ma peau, sur mes muscles. Je repère toute douleur, tout changement. Un simple tiraillement dans le cou peut me déconcentrer.

Si je m'isole, si mon casque est au bon volume pour éliminer le bruit des touches de mon ordinateur, alors je peux laisser mon esprit se faufiler entre les lignes de mes cours. Les codes rouges qui décoreront bientôt cette pièce ne seront pas effrayants, tant je les dominerai de ma conscience.

Le médecin – propriétaire s'en va, souriant, satisfait et convaincu de mon sérieux. Il a tout de suite compris quand, ouvrant une des deux valises, il vit des centaines de classeurs et de livres de droit. Vous ne risquez rien, je vous l'assure.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant