Enzo - 17 -

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Hier matin, Evan était allongé dans ce lit, celui-là même qui a accueilli une partie de nos ébats. Il a été notre support, le témoin fort heureusement silencieux d'une passion qui n'a eu de cesse de dévorer notre énergie. Hier, j'étais allongé sur lui, je me suis rendormi sur lui, et il n'a pas bougé.

Je n'ai personne à qui confier cette aventure. Nul ne doit savoir. Je serais bien trop mal à l'aise à l'idée que mes camarades de promotion l'apprennent. Ils s'imagineraient immédiatement que je tire profit de cette relation, qu'Evan en est l'investigateur ou bien que l'un d'entre nous cède bien trop facilement aux avances.

Je tiens à protéger Evan de cette déferlante qui pourrait s'abattre sur lui. Ou bien me protéger. Je l'ignore. Peu importe, l'essentiel est sans doute que nous soyons tous les deux à l'aise avec la situation. C'est bien pour cela que je n'ai pas hésité une seconde avant de lui confier mes craintes.

Evan, comme à son habitude, a réagi avec une bienveillance tout à fait remarquable. Face à l'incertitude, il a créé une forme de calme. Dans la tempête émotionnelle qui nous parcourt, il a érigé un mur simple mais fondamental : l'acceptation. Nous ne savons pas nommer avec certitude ce qui se déroule : soit, admettons-le.

Après avoir émergé de la sieste sur son torse, Evan et moi avons reprise notre échange. Nous avons détaillé nos pensées, il a posé la question-clef. En cet instant, que ressentions-nous ? Nous avions couché ensemble, nous nous étions embrassés. Bien. Et ensuite ? Quel sens donner à nos gestes ?

Si je récapitule, tu as compris que je n'étais pas un de ces étudiants dont le fantasme ultime était de « se taper leur prof ». En plus, nos rencontres fortuites t'ont conduit à remarquer ma déférence, le respect de ta règle, le fait que j'avais finalement apprécié ta sincérité. C'est précisément la distance que je mettais par rapport à mes actes qui t'ont conduit à remettre en cause ta propre décision. En somme, en cherchant à respecter ta décision, j'ai réussi à obtenir son renversement.

Evan a évidemment fait la moue en entendant mon analyse mais n'a eu d'autre choix que d'acquiescer. J'ai ainsi pu lui préciser aussi qu'en dépit de tous mes gestes, de toutes mes envies, des profonds désirs qui m'animent, ce serait mentir que d'affirmer que j'éprouve pour Evan une quelconque forme de sentiment.

Alors que j'étais installé sur lui, Evan a passé ses mains dans mon dos et m'a conduit à me redresser. Dans un geste que je n'oublierai sans doute jamais, il a saisi mes deux épaules et a petit à petit rapproché ses mains de mes joues.

Je suis rassuré. Aucun cours, aucune recherche, aucune expérience, aucun référentiel ne serait d'un grand secours actuellement. « Sentiment » est devenu le mot-valise pour décrire l'indicible et l'insaisissable. Cependant, moi non plus, au moment où nous nous parlons, ne suis capable de te faire part de ce qui se passe. Non, je n'ai pas de sentiments pour toi, Enzo. En revanche, ce que je ressens, c'est qu'une espèce d'aiguille a transpercé la carapace que j'avais forgée et qu'une lumière incandescente en surgit.

Il me tenait en me parlant, comme s'il craignait ma réaction. Il est vrai que, pour de nombreux amants, de tels propos seraient une tragédie... Non, pour nous, nos deux constats successifs étaient un soulagement. L'attraction, le charme, le désir sont bien présents. Ils sont si incontrôlables que nous avons cédé.

Néanmoins, nous ne sommes pas un couple, nous ne sommes pas amoureux, pas même habités par des pensées affectives. Serions-nous encore enfermés dans le respect et la bienveillance qui marquent notre relation ? Sans doute, et quand bien même ce serait le cas, ce n'est pas problématique.

Evan est resté prendre un petit-déjeuner avant d'occuper ma salle de bains pendant quelques minutes. Pendant ce temps, je tentais tant bien que mal de redonner à mon appartement une apparence convenable. Celle que je retrouve ce matin et qui me permet de me préparer pour arriver à l'heure à la faculté.

Qui pourrait comprendre ce que nous vivons ? Personne, tant le mystère est présent. Le brouillard qui nous entoure nous empêche d'avoir une vision claire de notre environnement. Nous savons juste que tant que nous ne divergeons pas, nous ne risquons rien. Si nous avançons dans la même direction, il n'y aura pas de brume entre nous.

Si nous respectons ce principe, si nous continuons à être transparents l'un envers l'autre, si nous allons de l'avant, alors je suis convaincu que nous pourrons reproduire autant de fois que nous le désirerons la nuit qui vient de s'écouler. N'y pensons pas trop, il est temps de quitter les lieux.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant