Evan - XXVI -

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« Bonjour Monsieur Markarian. C'est un plaisir de vous revoir ! »

A peine entré dans ma boutique de bijoux préférée, voici que je suis immédiatement accosté par les deux vendeurs. Il faut dire que j'ai longtemps dépensé une large partie de mon salaire chez eux. Les bagues, les pendentifs, les bracelets, j'ai été un acheteur compulsif pendant ma thèse.

« Messieurs. Écoutez, je suis venu ici pour une pièce spécifique. Je suis venu il y a trois semaines retirer un baguier et je vous avais envoyé la taille. Je dispose enfin de votre retour ».

Lorsqu'Enzo et moi nous sommes vus, il y a un peu moins d'un mois donc, j'ai profité de son sommeil réparateur pour prendre les dimensions de son annulaire gauche. Étant donné qu'il porte son tigre à droite, j'ai pensé qu'il serait bon de choisir son autre main. C'est ainsi que j'aurais raisonné pour moi, tout du moins.

« Parfait, Monsieur Markarian. Quelle pièce aviez-vous choisi ?

— Votre lion.

— Excellent choix, Monsieur. Il s'agit d'une surprise, je suppose ?

— Tout à fait, sinon, le baguier se serait révélé inutile.

— Dans tous les cas, nous vous proposerons un ticket de caisse sans prix pour que la personne puisse le faire mettre à taille.

— Je reconnais ici votre professionnalisme, je vous en remercie.

— C'est tout naturel, Monsieur ».

L'un des deux s'empresse d'aller chercher, dans ses stocks, la chevalière. J'avais posé une option pour éviter que les tailles pressenties ne soient vendues. Cette opération me coûtera quelques dizaines d'euros mais ce n'est pas un problème. Ces modestes frais sont bien faibles en comparaison du plaisir que j'ai à faire cet achat.

L'année universitaire touche bientôt à sa fin. Ou plutôt, devrais-je dire, les cours se terminent prochainement. Restent bien sûr les examens, les candidatures, les entretiens, les corrections de copies... Tout ce que les étudiants ne voient qu'en surface. Enzo, lui, le constate malgré lui. Il me sait particulièrement occupé et n'ose donc que peu me proposer de nous voir.

Il s'agit là d'une des raisons qui me poussent à lui offrir ce cadeau. Je ne veux pas qu'il pense que je l'évite, que je ne veux plus le voir ou que je me détache. Non, je suis simplement pris dans le tourbillon de ma propre vie. D'ailleurs, dès que je le peux, je privilégie Enzo à Axel ou à Irina. Mais nul ne le sait, bien sûr.

Je paie les trois cent cinquante euros nécessaires et quitte donc les lieux en possession de la précieuse chevalière à tête de lion. Je parcours la ville paisiblement, observant chaque fontaine et chaque place. Aix est décidément une belle cité. Je suis heureux de l'avoir choisie pour y mener mon doctorat. Ce contrat temporaire me permet de surcroît de prolonger ce plaisir.

J'arrive finalement dans des quartiers plus calmes, si tenté qu'Aix ne soit déjà pas une paisible ville. Je retrouve donc prochainement ma rue et la sérénité qui la caractérise. C'est une chance immense, je le sais. Je rentre donc chez moi et, comme toujours, la musique s'active. Mad Rush for organ, de Philip Glass.

Enzo ne manquera pas de me rejoindre dans quelques temps, puisque son cours s'est terminé il y a vingt minutes. Je me réjouis, en premier lieu, de ne pas être en retard. Le faire attendre en bas de la maison m'aurait contrarié. Ce serait un comble pour un hôte que de laisser son invité dehors.

La sonnerie ne manque pas de retentir. Je range donc soigneusement la chevalière dans son paquet et la dépose sur la table. Je m'approche de l'entrée. J'attends. La main sur la porte, prêt à ouvrir. Je me laisse quelque peu bercer par les notes pourtant stridentes de l'orgue. Après quelques coups que j'avais négligés, j'ouvre.

Enzo entre calmement et m'embrasse à mi-chemin entre ma joue et mes lèvres avant d'enlever ses chaussures et de m'attendre.

« Je risque d'avoir besoin d'une petite sieste avant que les festivités ne commencent.

— Le retour du malicieux et prétentieux étudiant, nommé Enzo Grenelle, me moquai-je en posant mon index sur son nez.

— Il t'a prouvé que tout ceci n'était que la vérité, tu ne crois pas ?

— Tu connais mon esprit scientifique : toujours vérifier régulièrement que les faits n'ont pas évolué.

— Pervers ! »

Je l'embrasse délicatement. Aucun mouvement trop vif qui pourrait réveiller chez moi autant que chez lui une pulsion sexuelle. Juste ce qu'il faut pour qu'il comprenne que je ne le laisserai pas gagner. Jamais. Entend-il mes pensées, puisqu'un sourire se dessine au milieu de ce baiser. Il m'avait manqué.

Ultime évanescence (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant