Je me suis endormi en pensant à elle. Et je me réveille en pensant à elle. Comme si un lien invisible nous avait liés dès le premier regard. J'espère au fond de moi pouvoir poser à nouveau les yeux sur elle. Cette jeune fille, magnifique, qui a tout balayé sur son passage. Ce n'est pas en restant allongé là entre mes draps que je vais obtenir ce que je souhaite. Bien au contraire, il faut que je sorte, en espérant qu'elle croise à nouveau mon chemin.
À peine cinq petites minutes et je suis prêt. Je descends dans la cuisine, pour le petit-déjeuner, où mon père n'est plus. Il est sans doute allé se coucher tôt ce matin. Je mange rapidement et me prépare un petit quelque chose pour le midi, car je n'ai pas prévu de repasser par la maison. Je récupère de quoi étudier. Malgré le peu d'envie qui m'anime pour cette activité, je dois faire abstraction et au moins prendre ce dont je pourrais avoir besoin. Mais contrairement à hier, je décide de prendre mon livre de psychologie. Un sujet bien plus passionnant pour ma part. Je le fourre dans mon sac, avec mon bloc-note. J'écris un message pour mon père comme chaque matin où je m'absente pour qu'il ne s'inquiète pas.
Grand pote,
Parti en vadrouille dans le quartier,
Promis, je vais bosser. À ce soir.
Athan
Et me voilà parti.
Je me dirige vers le parc puisque je lui ai demandé de m'y retrouver. La journée est aussi magnifique que celle d'hier, il y a donc un espoir pour qu'elle aille s'y balader. Par ailleurs, ce parc est l'endroit où je me sens le mieux. Depuis bientôt trois ans, je m'y rends dès que l'occasion se présente, parfois même quand le temps n'est pas suffisamment clément. Là-bas, je suis en paix. Proche de la nature, souvent seul au monde. Ce parc est mon sanctuaire. Là-bas, rien ne compte à part le moment présent. Les fois où je m'y rends, j'y passe la journée entière, je travaille un peu et je médite beaucoup.
Comme à mon habitude, sur le trajet, je suis dans mes pensées. Si bien que je me rends à peine compte de ce qui m'entoure. Mais aujourd'hui, il y a quelque chose de différent. En marchant, j'ai comme une impression étrange. J'ai comme des fourmis dans les jambes, les mains complètement moites. Un frisson me parcourt tout le corps, s'insinuant le long de ma colonne vertébrale. C'est un mélange de sentiments, et c'est confus. Je ressens une euphorie et mêlé à cela, un léger désespoir et une peur mordante. Je me fige alors, appelant mes sens pour savoir ce que cela signifie, d'où cette étrange sensation peut me provenir.
J'observe les alentours. Je ne vois pas ce qui pourrait me mettre dans cet état, rien qui pourrait m'effrayer ou me donner cet enthousiasme. C'est quand enfin je lève les yeux dans la bonne direction que je comprends enfin.
Au travers d'une grande fenêtre, dont la moitié est couverte par des voilages blancs, j'aperçois une silhouette qui me dit quelque chose. Je suis à peu près sûr de qui se trouve là, et c'est lorsqu'elle se retourne qu'un sourire naît sur mon visage. En vérité, je le savais déjà sans même m'en rendre compte. Voilà pourquoi j'avais cette gaieté. Inconsciemment, je savais qu'elle était proche. Comment ? Je l'ignore. Le plus important, c'est que je l'ai retrouvée.
Je la regarde depuis l'autre côté de la route, un peu voyeur je l'avoue, mais sur le moment, je m'en fiche royalement. Au bout de quelques secondes, je discerne, sur son doux visage, des larmes. En me concentrant, il est évident qu'elle pleure. Ses yeux sont rougis et elle commence à essuyer ses joues avec le revers de sa manche. Cette vision me serre le cœur. Pourquoi cette jeune fille, pleine de vie et de joie hier, sanglote aujourd'hui ?
Au bout d'un moment, alors qu'elle s'est assise, près de la fenêtre, elle finit par tourner la tête. Au départ, elle sonde le ciel. La lumière du soleil baigne son visage. Doucement, son regard descend vers moi. Quand elle m'aperçoit enfin, je vois qu'elle a un léger soubresaut. Il est clair qu'elle ne s'attendait pas à me voir, tout ce qu'il y a de plus normal. Par ailleurs, ce doit être flippant d'avoir un type que tu connais à peine, en face de ta fenêtre, de l'autre côté de la rue, qui t'observe.
Je m'apprête à partir comprenant, un peu tard, que j'ai l'air étrange et angoissant à rester sur place. Mais au moment où j'engage le mouvement, et juste avant que mes yeux ne la lâchent, Chris me fait un signe de la main. À mon tour, je lui dis bonjour de loin en agitant la main droite. Elle se lève à ce moment, sans même prendre le temps d'ouvrir la fenêtre pour me parler, elle fait deux signes : un V avec l'index et le majeur suivi d'un geste du pouce vers la droite. Puis elle ferme le rideau et je ne vois plus que son ombre, au travers des voilages, s'éloigner.
Je suis perplexe à ce moment. Que vient-il de se passer ? Est-ce que je dois partir ? Ces signes étaient pour moi une manière de me dire, attends deux minutes, on y va ensemble. Mais peut-être que je me trompe. Que dois-je faire ? Dans le doute, je reste là, figé sur le bord de la route. Le temps se distord, j'ai l'impression d'être là depuis des heures. La situation est tellement abracadabrantesque et déconcertante.
La porte d'entrée s'ouvre et Chris sort de chez elle. Comme hier, elle est vêtu entièrement de blanc, ses cheveux blonds sont noués en une longue natte qui tombe le long de son dos. Mais ce sont naturellement ses yeux qui m'hypnotisent. Même si elle a séché ses larmes, ses yeux sont encore légèrement rouges, ce qui contraste énormément avec le bleu profond de ses iris. Son regard est triste et grave. Elle est très jeune, à peu près mon âge, et pourtant son regard est celui d'une adulte, ayant vu et vécu des évènements difficiles.
﹘ Eh le poète ! Tu comptes rester planté là toute la journée !
Sa voix me sort de ma léthargie. Je me rends alors compte que nous sommes face à face, chacun sur un côté du trottoir. Je traverse la route pour la rejoindre. Et sans que l'on se dise quoi que ce soit, elle me donne une tape sur l'épaule et nous partons ensemble.
Je suis environ à un pâté de maisons de mon point de départ. La rue est paisible, quelques maisons entourées de quatre petits immeubles. Tout est épuré avec un peu de verdure sur le bord de la route. C'est étonnamment très éloigné de ce que je peux trouver par chez moi et pourtant ce n'est pas très loin. On penserait presque que l'endroit où nous vivons est à notre image. J'habite dans un immeuble tellement vétuste que parfois je me dis qu'il est fait pour moi, il ne semble pas être adapté à ce monde, comme s'il était bloqué dans un autre temps ou un autre monde, un peu comme moi finalement. Ici, tout est immaculé, calme, doux, comme elle, du moins comme je l'ai vu hier, comme je la vois.
Nous marchons depuis environ cinq minutes. Nous n'avons pas échangé un mot. Je sens qu'elle n'est pas très à l'aise, il faut que je brise la glace.
﹘ Alors comme ça Neige est puni aujourd'hui ? (Elle me regarde avec un sourcil levé, résultat de son incompréhension.) Eh bien oui, j'aurais pensé que tu le sortirais faire une petite balade. Mais visiblement, tu préférais être en tête-à-tête avec moi, j'ajoute à son intention, le regard vissé devant moi.
Du coin de l'œil, je vois bien que je l'ai fait sourire bien qu'elle essaie de le cacher pour une raison obscure.
﹘ Tu es sûre que ça va ? Tu n'es pas obligée de me suivre si quelque chose ne va pas ?
﹘ Qu'est-ce qui te fait penser ça ? me demande-t-elle en retour.
﹘ Je ne vais pas cacher le fait que je t'ai vu pleurer. Je ne te demanderai pas pour quelle raison, je n'ai pas à le savoir... sauf si tu veux m'en parler.
﹘ Je préfère garder ça pour moi. Pour répondre à tes questions, Neige reste avec ma sœur ce matin et je ne suis pas imposée de te suivre. J'ai décidé de venir avec toi. Tu ne m'as pas demandé de sortir, je t'ai demandé de m'attendre. Mets-toi bien ça dans le crâne.
Elle me décroche un rire. J'adore l'entrain de cette fille. Il y a quelques minutes, je l'ai vu pleurer, maintenant, je vois seulement son fort caractère. J'ai bien l'impression qu'elle sait ce qu'elle veut et c'est assez vivifiant.
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Obliquatur (en réécriture)
Teen FictionDe nos jours, la société s'est bâtie sur un pilier unique : l'intelligence. Le Cénacle dirige le régime, composé des plus sages et des plus érudits de notre monde. Chris et Athan vivent aussi bien qu'ils le peuvent dans ce système. Leurs vies contr...