Chapitre 1 : Chris

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         Voilà des semaines que la pluie ne cesse de tomber. Peut-être bien douze semaines, ou plus ? Je ne sais plus, j'ai perdu le compte au fil des jours. Un temps sombre, gris, morne et triste. Cette pluie constante, froide me fait frissonner au plus profond de ma chair. Elle a fait tomber, il y a bien longtemps, mon moral au fond du gouffre. Des semaines que je ne voyais plus personne dehors. Il semblerait que cette météo, presque apocalyptique pour certains, ait eu raison des plus braves, qui affrontaient pourtant la tempête à ses débuts. Au son strident de mon réveil, un peu trop matinal à mon goût, je n'ai qu'une envie : rester blottie dans mes draps chauds, dans mon lit moelleux, à l'abri de ce monde merdique. Comme à mon habitude, je fais donc taire la musique qui m'a tiré du sommeil, remonte la couette jusqu'au-dessus de ma tête et replonge dans les bras de Morphée. Mais ma sœur, elle, en a décidé autrement.

﹘ Debout feignasse ! me crie-t-elle en ouvrant violemment les rideaux qui plongeaient ma chambre dans l'obscurité rassurante de la nuit.

Je fais seulement entendre un grognement profond de sous les draps, de sorte à faire comprendre à Allia qu'il vaut mieux sortir et me laisser seule avec moi-même. Mais comme je m'y attendais, ma sœur n'a que faire de mes états d'âmes, elle me retire avec force la couette comme si celle-ci était en feu et allait me brûler, la jette sur le sol sans faire fi de la contrariété qui imprègne mon visage.

﹘ Pas besoin de me fusiller du regard Chris. Papa t'a déjà dit de ne pas écouter ta tête de marmotte le matin et de sortir immédiatement du lit !

J'adorais cette manière qu'avait mon père de dire que je n'étais pas matinale. Il m'avait appelé tête de marmotte à mes huit ans et depuis rien n'avait changé. Je me suis même davantage rapprochée de cet animal totem au cours des années, ayant de plus en plus de mal à sortir du lit et toujours avec une tête à faire peur à un fantôme !

﹘ Aïe ! je m'écris en recevant un coussin en pleine tête. Tu es folle ! Pas besoin d'être si violente, je suis réveillée ! je gronde à Allia.

﹘ La prochaine fois que tu ne m'écoutes pas, je te jetterai autre chose qu'un coussin à la tête... Pour information, papa t'attend en bas et le soleil est revenu, m'annonce-t-elle.

J'étais tellement perdue dans mes pensées que je ne l'ai pas entendu la première fois. Je m'élance immédiatement vers la fenêtre et constate qu'Allia dit vrai, le soleil s'est enfin frayé un chemin à travers les nuages, m'arrachant un sourire. Ce sourire qui depuis longtemps n'avait pas éclairé mon visage se perd rapidement quand je réfléchis à la menace de ma sœur. "La prochaine fois que tu ne m'écoutes pas, je te jetterai autre chose qu'un coussin à la tête... " m'a-t-elle lâché comme si de rien était. Allia n'a aucune idée de la force de ses paroles pour moi. Depuis que je suis petite, je suis son souffre-douleur. Bien entendu, papa n'en a jamais rien su, ou alors il tourne la tête et joue les aveugles face à cette situation. Encore aujourd'hui, ma sœur me fait parfois peur même si j'ai grandi et que je me défends à présent (malheureusement pas assez surtout lorsque nous sommes seules).

              Après cet aparté à moi-même, je retourne mon attention sur ma fenêtre, sur laquelle les rayons du soleil brûlant frappent pour baigner ma chambre d'une lumière chaude et apaisante. Ces semaines de mauvais temps m'ont déshabituées à cette lumière qui ce matin me pique les yeux, me forçant à les plisser pour mieux voir et profiter de la vue. Je laisse sa douce chaleur me nimber à travers la vitre, caresser ma peau, me remplir d'une énergie nouvelle. Cela me revigore, comme à chaque fois, comme si je renaissais ou que je sortais d'un mauvais rêve. Maman était pareille.

Elle ne supportait pas plus que moi la grisaille et la pluie qui nous envahissait saison après saison pendant des jours, des semaines, voire des mois. Je ne la voyais jamais aussi heureuse que lorsque que le soleil refaisait surface, illuminant le monde, illuminant son monde. Je la vois encore me dire, en fixant mon regard de ses yeux d'ambre, "Ma chérie, n'oublie pas que le soleil est symbole d'espoir et de renouveau." Elle me le répétait sans cesse, dès que l'astre lumineux pointait dans le ciel après de longues périodes de pluie. Et elle avait raison, à chaque fois. Dès qu'il apparaissait, les événements s'amélioraient, il se déroulait quelque chose qui changeait nos vies, toujours dans le meilleur des sens. Il y a un an, mon père a été promu à son travail, depuis lors, je n'ai pas vu le bonheur quitter son visage. Il y a cinq ans, ma sœur a contracté une maladie foudroyante, nous aurions dû la perdre, mais nullement. À peine trois jours après que le beau temps soit revenu, elle était guérie. Un miracle.

C'était notre tradition à nous. Rien qu'à nous. Appelez cela la chance, le hasard, une coïncidence ou même de la superstition. C'était simplement ainsi dans notre famille. Malheureusement, lors des périodes de grandes averses, c'était complètement le contraire. Et nous avons perdu maman il y a trois ans, au cours de l'orage le plus impressionnant que je n'ai jamais vu.

            Je sors de ma léthargie, bien décidée à profiter de cette journée. Je m'habille rapidement, jean écru, t-shirt blanc, sweat à capuche ivoire et baskets blanches. Oui, j'aime bien le blanc. Planté devant le miroir de la salle de bain, je m'impressionne moi-même, ma tête de marmotte est aux abonnés absents ce matin. Mes yeux sont tellement ouverts qu'ils pourraient sortir de leurs orbites.

Il y avait longtemps que je n'avais pas été aussi en forme avant mon petit-déjeuner. Je coiffe mes cheveux tant bien que mal et comme à mon habitude, je les noue en une longue tresse, plaquée sur mon crâne, longeant ma colonne vertébrale et finissant juste au bas de mon dos.

Je dégringole les escaliers à une vitesse trop peu prudente. Mais je m'en moque. Aujourd'hui, le soleil est de retour. Et vous savez ce que cela annonce ? Un heureux événement va bouleverser ma vie. Et j'ai hâte de découvrir lequel.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant