Chapitre 28 : Athan

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            Il m'est assez difficile de faire une petite place dans la tête pour les nouvelles informations aujourd'hui. En mettant de côté mon problème que vous connaissez déjà, cette journée a été riche en données pour moi. Et là, je sature un peu. Je tente quand même d'imprégner dans un coin de mon esprit ce que Chris vient de me révéler. Et en vrai, c'est agréable de pouvoir enfin mettre un mot sur une idée : Obliquatur, les déviants, les individus développant des dons. D'après ses dernières informations, presque dix pourcents de la Garde est composé d'Obliquatur, ce qui peut se révéler très dangereux.

Nous sommes posés dans la cuisine. Des papiers partout sur la table. Chris nous a préparé deux cafés, j'ai besoin de ce petit réconfort, de cette forte odeur pour me donner du courage. Admettre à Chris ce que je cache, pourquoi je suis parti sans me retourner, pourquoi je n'ai donné aucune nouvelles, c'est vraiment difficile pour moi. Parce que je sais que dès que je lui aurai dit, cela la mettra en danger, d'une manière ou d'une autre.

Nous sommes face à face, je n'ose pas la regarder. Non. J'ai plutôt la tête baissée, le nez plongé dans la senteur douce-amer du café noir devant moi. La chaleur de la tasse me brûle presque les doigts, toutefois, cela me permet de garder un ancrage avec le réel, avec ce qui m'entoure. Sans cela, je pourrais me croire dans un rêve. Non. Un cauchemar.

Chris brise le silence.

﹘ À une époque, qui me paraît être une autre vie maintenant, tu m'as dit que tu vivais dans ton propre monde. Est-il le même aujourd'hui ?

Je réfléchis un instant parce qu'en vérité, je n'ai pas la réponse.

﹘ Je ne vis pas, je survis.

Ma réponse nous surprend tous les deux.

﹘ Mon univers a basculé peu après mon seizième anniversaire. Il était déjà instable un peu avant, mais je n'avais pas conscience à quel point. J'ai découvert que... (je prends une grande inspiration) que j'avais un trouble des fonctions cognitives... me provoquant une déficience intellectuelle. Ma mère avait la même chose à priori.

Devant son incompréhension, parfaitement visible à travers ses sourcils moitié froncés, moitié interrogatifs, je lui explique.

﹘ Globalement, j'ai des difficultés à mémoriser, à organiser les informations, à raisonner, parfois même à communiquer ou à me repérer dans le temps et l'espace. C'est comme si mon cerveau avait décidé d'avoir à nouveau six ans. Ce ne serait sans doute pas un véritable problème dans ma vie de tous les jours si je ne vivais pas sous le régime Callidus, avec le Test qui approche à grand pas.

﹘ Si ce que tu dis est vrai, tu ne réussiras jamais le Test.

﹘ Merci d'annoncer une vérité si simple.

Silence.

Chris est en train de réfléchir à tout ce que cela implique. Pour ma part, j'y ai réfléchi il y a bien longtemps. Je vais devenir un Amentis et aujourd'hui, cela revient à une condamnation à mort. Je suis vraiment né au pire moment.

﹘ Bien. Bien, euh...

﹘ Tu voulais la vérité Chris. C'est à cause de ça que j'ai perdu mon sang froid tout à l'heure. Je sais ce qui m'attend. Je l'ai toujours su en fin de compte. Mais je me suis bercé d'illusions trop longtemps. J'ai cru pouvoir arranger les choses. J'ai cru pouvoir décider de mon avenir et ne pas me laisser dicter par ce trouble. Je pensais que je pourrais au moins sauver les apparences. Mais là, tout a changé.

﹘ Pourquoi ?

﹘ Parce que c'est mon père qui m'a soutenu ces dernières années. Il m'a aidé à travailler tous les jours. Grâce à lui, j'ai pu stopper le processus de perte de mémoire. Et petit à petit, j'ai commencé à tout réapprendre. Avant qu'il ne disparaisse, j'avais beaucoup progressé malgré tout, j'étais encore très loin de pouvoir m'en sortir face au Test d'après lui. Aujourd'hui que je suis seul, je n'ai plus aucun espoir. Je vais perdre.

﹘ Qui a dit que tu étais seul ?

﹘ Chris, j'apprécie que tu te soucies encore un peu de moi après ce que j'ai fait. Mais je refuse d'accepter ta pitié ou de te mettre dans une situation compromettante. Par ailleurs, je ne saurais accepter ton aide vis-à-vis de ce point en repensant à la façon dont je t'ai laissé il y a quatre ans.

﹘ Ok Athan mais il faut que tu comprennes que je suis adulte. Par conséquent, je fais mes propres choix. Ce n'est pas le fait de t'aider qui va me mettre dans une position difficile vis-à-vis du gouvernement. Je monte un dossier de mise en justice contre le Cénacle, donc, partant de là, je ne risque pas grand-chose de plus. Ensuite, ce n'est pas de la pitié. Je t'en veux encore oui pour la manière dont tu as agi, il y a avait mille et une autres façons de faire. Malgré mes ressentiments envers toi, je t'ai fait une promesse, il y a longtemps et je ne brise jamais une promesse... partenaire.

Elle ponctue la fin de sa tirade d'un sourire malicieux. Je retrouve bien ma Chris, chipie jusqu'au bout des ongles, forte et courageuse, se rebellant contre l'injustice. Je l'aime pour ça. Et en cela, rien a changé. Pourtant, nous avons beaucoup changé tous les deux. Nous avons grandi.

﹘ Nous avons alors deux missions ! s'écrit-elle. Un, faire mordre la poussière à ces ordures du Cénacle. Deux, trouver la faille du système pour que tu écrases tout lors du Test. Acceptes-tu ta mission, le poète ?

Je me lève et m'avance vers elle. Je pèse rapidement le pour et le contre dans ma tête, mais la décision est dure à prendre. Au final, j'agis par instinct et lui serre la main qu'elle m'a tendue.

﹘ Ensemble ? je demande.

﹘ Ensemble.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant