Chapitre 55 : Athan

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Toute l'assemblée sursaute au même moment, quand le coup part. J'aurais dû m'en douter. Chris s'effondre sur le côté, un cri de douleur perçant le silence, me contractant chaque muscle, chaque fibre, chaque cellule, déchirant jusqu'à mon âme. Je tente de m'arracher de l'emprise de la Sentinelle, mais il est trop fort. Une larme parvient à se frayer un chemin sur ma joue. Je perds complètement pied avec le moment.

Malgré les mains qui tremblent, le souffle court, le cœur battant à tout rompre, et la vision d'horreur devant moi, je dois reprendre contenance. Sinon, tout ce que nous faisons ne servira à rien. J'inspire à fond, expire lentement. Je visualise cette petite flamme au creux de mon estomac, cette étincelle de pouvoir, je dois la nourrir. Je reviens, par miracle, à reprendre le contrôle sur mon don, alors que Chris, elle, gémit au sol, une flaque de sang commençant doucement à grandir sous elle.

En une fraction de seconde, Allia a dévié son canon pour tirer dans la jambe de sa petite sœur. J'ai entièrement ressenti l'impact. Connecté émotionnellement à Chris, je ressens tout. Il m'a fallu tout mon sang-froid pour ne pas réagir, et encore maintenant alors qu'elle souffre le martyre.

﹘ Je peux aussi bien la faire souffrir. Allia est douée pour la douleur physique, vous le savez mieux que quiconque. Et vous savez également que j'ai d'autres cartes en mains.

Je repense à Jake. Mon regard vient se poser directement sur lui. Mon geôlier le plus sadique et de loin, mais surtout le plus puissant.

﹘ Non.

Je n'arrive pas à articuler plus de mots. Trop de tout, j'ai l'impression que mon cerveau va exploser.

À contrôler mon pouvoir, ressentir la douleur de Chris, éviter qu'Irène ne puisse voir dans nos pensées, me concentrer sur la situation... c'est trop. Soudain, une idée émerge. Folle bien sûre, sans doute complètement absurde, extrêmement risquée cela va de soi, mais une idée qui va nous faire gagner le temps nécessaire. Il nous en manque si peu, et je ne peux laisser Chris subir le joug de Jake en attendant.

Je sais que je peux le faire. Je peux réussir. Je concentre l'énergie dont j'ai besoin. La petite flamme se transforme doucement en brasier, je récupère toutes les émotions dont j'ai besoin. Certes je joue un jeu dangereux, et j'use d'une partie de l'énergie nécessaire pour la suite des évènements, mais cela sera à coup sûr un avantage pour nous. Je prends une dernière inspiration, et je relâche tout.

Allia et Irène s'effondrent en même temps dans un cri de panique, qui cette fois-ci me remplit de joie. Comme je l'espérais, c'est la stupeur générale. Quatre Sentinelles foncent sur ces dernières pour les aider, mais ils ne pourront rien. C'est moi, désormais, qui tient les rênes. Je fais signe à la Sentinelle qui a amené Chris d'agir, il s'agenouille près d'elle immédiatement.

Le garde qui me tient, lui, ne se laisse pas aussi facilement berner.

﹘ Arrête ça ! crie-il à travers son casque.

Mais il n'aura pas eu l'occasion de me faire changer d'avis, il se fait assommer par derrière. Je regarde alors Caleb, les yeux écarquillés.

﹘ Quoi ? me demande-t-il. Je ne suis pas juste un homme de paroles.

Je ricane et il détache mes menottes. Il jette un coup d'œil à Irène et Allia, toujours pliées en deux au sol, hurlant de douleur, un groupe de gardes tentant désespérément de leur venir en aide. Puis il se tourne vers moi :

﹘ Bien joué.

À peine trente secondes se sont écoulés, et ce, dans la panique générale. La Sentinelle parvient à sortir Chris par l'arrière de la salle, accompagnée d'Emilia. Caleb et moi devons impérativement quitter les lieux au plus vite avant que les Obliquatur n'agissent. À peine ai-je pensé ces mots, que je sens une étreinte sur tout le corps. Je me retrouve incapable de bouger.

J'avais repéré le télékinésiste au début de l'assemblée et malheureusement, ce dernier est réactif. Ce qu'il ignore, c'est que c'est sur son pouvoir que je me suis concentré en premier.

Ce qui est génial avec l'empathie, c'est que si je me concentre suffisamment sur quelqu'un et que je me connecte à son don, je peux le capter et l'utiliser, comme n'importe quelle émotion. Parce qu'après tout, chaque don est lié à la psyché de son porteur, c'est une sensation pure, avec laquelle je peux jouer.

Comme je l'ai fait avec Irène et Allia, mais avec la douleur que je percevais de Chris et celle que j'ai emmagasinée, je prends le contrôle de sa télékinésie et la retourne contre lui. C'est si facile, si naturel, que j'ai l'impression d'avoir fait cela toute ma vie. Le pauvre est envoyé droit contre le mur, il s'effondre, assommé sur le coup.

Caleb et moi fuyons le plus vite possible, profitant encore de la confusion et avant qu'un autre Obliquatur ne décide de me barrer la route avec son don. Alors que nous parvenons à quitter l'hémicycle, nous entendons une explosion dans le bâtiment qui va jusqu'à faire trembler les murs de notre côté.

﹘ Eh bah ! Il était pas trop tôt ! s'écrit Caleb.

Nous rejoignons les autres dans un couloir adjacent. Le garde est en train de faire un bandage sur la cuisse de Chris pour stopper l'hémorragie. Je m'agenouille à ses côtés.

﹘ Je suis désolé ma belle, j'aurais dû réagir plus tôt.

﹘ Ne t'inquiète pas le poète. Ahh ! (les traits de son visage se froncent sous la douleur) J'ai connu pire. Et sans toi, j'aurais pu vivre bien pire je le sens. De toute façon, ça faisait partie du plan.

﹘ Oui, c'était un risque, mais j'aurais préféré l'éviter.

﹘ Tu t'es suffisamment conduit en tant que chevalier servant Athan, je t'en prie ne devient pas sur-protecteur, ça risquerai de me contrarier.

Je lève les mains en signe d'armistice. En soit, elle a raison, elle peut se débrouiller seule mais que voulez-vous, je suis un empathe. Voir les autres souffrir est insupportable pour moi, et en particulier quand il s'agit de Chris.

﹘ Quoi qu'il en soit, notre porte de sortie vient de s'ouvrir.

﹘ Oui, nous l'avons entendu aussi, Caleb, Athan, vous restez ensemble. Chris, Daimen et moi prendrons la direction opposée. Athan, regardez-moi ! Tout se passera bien.

﹘ Je n'en suis pas aussi sûr que vous.

﹘ Que se passe-t-il mon garçon ? s'inquiète soudainement Caleb.

﹘ Jake et ses comparses.

Le père de Chris a créé une brèche au siège du Cénacle permettant à la population de s'engouffrer dans le bâtiment. Notre plan c'était d'occuper un maximum la Garde pour ne nous concentrer que sur Irène et les Obliquatur.

À ce stade, la dictatrice Irène a dû reprendre ses esprits ainsi qu'Allia. Elles ne vont pas tarder à nous rechercher et à nous trouver. Le problème c'est que je sens d'ici-même l'impulsion de Jake. Clairement, il veut me faire la peau. Et je crains de ne pouvoir faire la même chose avec lui, qu'avec le télékinésiste. S'il nous débusque, nous sommes fichus.

﹘ Dispersons-nous, dis-je simplement.

Juste avant de partir vers la brèche, je pose mon front sur celui de Chris et pose ma main sur sa joue.

﹘ Nous allons nous en sortir.

﹘ Assez de sentiments le poète, tu vas me faire changer d'avis.

Un petit rire me prend et me réchauffe le cœur. Je l'embrasse sur la joue et rejoins Caleb. Avant de disparaître dans le labyrinthe blanc du siège du pouvoir, j'entends dernière moi la dernière phrase sensée :

﹘ Et tu as intérêt à revenir me chercher partenaire !

﹘Toujours, souffle-je dans un murmure. 

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant