Chapitre 8 : Athan

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       Je suis resté toute la journée au parc Azur, profitant jusqu'aux derniers instants de la chaleur de cette journée. J'ai étudié encore un peu, du moins j'ai essayé. La concentration a été difficile à conserver aujourd'hui surtout lorsque je repense à l'épisode de ce matin et à cette fille. Au bout de la troisième relecture du chapitre concernant l'évolution du régime après la mort de Callidus, j'ai décidé qu'il valait mieux arrêter pour aujourd'hui. De toute façon, qu'est-ce que cela allait changer ?

J'ai refermé définitivement ce pavé que certains osent appeler livre, et je suis descendu près de la rivière. Je suis resté aussi longtemps que j'ai pu. Quand je suis parti, le soleil venait de se cacher laissant sa place à la lune, j'étais seul au monde et mes fesses me faisaient un mal de chien à force d'être resté stoïque sur le sol si peu confortable.

En arrivant à la maison, mon père est encore assis sur la table de la cuisine. Des papiers recouvrent celle-ci, comme toujours. Il est complètement plongé dans ses pensées à tel point qu'il ne m'a pas entendu m'approcher.

﹘ Athan ! Bon sang ! Tu m'as fait une de ces peurs mon garçon ! s'écrit-il dans un sursaut.

﹘ Excuse-moi papa, je ne voulais pas t'effrayer ou même te déconcentrer, je lui dis en pointant la montagne de paperasse devant lui.

﹘ Ah oui, ça ! Ah, tu sais ce que c'est et comment je fonctionne. Dès que je commence et que je m'embarque dans le travail rien ne m'arrête. Mais maintenant que tu es là ! Qu'est-ce que tu dirais d'une petite soirée père-fils ?

Je le regarde attentivement attendant qu'il se confie à moi sur la véritable raison de ce bazar sur la table, mais il n'en fait rien. Je sais pourtant parfaitement ce qu'il faisait et cela n'avait rien à voir avec le travail. Toutefois, ce n'est pas dans mon intérêt de le mettre devant le fait accompli. Alors, je mets de côté mes appréhensions.

﹘ Bien sûr papa.

Nous vivons une soirée parfaite : pizza, jeu de cartes et discussions. Que puis-je demander de mieux ? Mon père et moi avons toujours eu une relation très complice depuis que je suis petit. Il ne m'a jamais vraiment traité comme un enfant au contraire et cela je lui en suis reconnaissant. C'est un homme bon, enjoué, ouvert aux autres et ne cherchant jamais la reconnaissance. J'espère être un jour à son image. Et il est également extrêmement perspicace !

﹘ Quand est-ce que tu vas te décider à m'en parler ? me demande-t-il tout à coup avec un sourire malicieux et le sourcil gauche relevé.

﹘ Te parler de quoi ? Il n'y a rien.

﹘ C'est ça ! Prends-moi pour un imbécile. Je suis plus malin que ça et toi aussi.

﹘ Je te jure que je ne vois pas de quoi tu veux parler, je tente.

Un de mes plus gros problèmes, c'est que je ne suis pas doué pour mentir, je le sais et lui aussi. Il me fixe intensément. Il sait très bien que c'est le meilleur moyen de me faire craquer parce que je supporte très mal la pression. Deux de mes plus grand défauts !

﹘ Ok c'est bon tu as gagné ! Je me rends...

Son sourire s'étend. Il est fier de lui.

Il s'enfonce alors dans son siège, en position d'écoute. Il ne va pas manquer une miette de mon récit.

﹘ Ce n'est vraiment pas ce que tu crois, hein. Je suis allé au parc à l'aube pour bosser. Tu sais que je ne supporte pas d'être enfermé et après ces dernières semaines, il me fallait de l'air. J'ai bossé bien sûr, tu me connais.

﹘ Oui, oui, je te connais, justement, me coupe-t-il en riant, me décrochant un rire sourd.

﹘ Ouais, je devrais savoir maintenant que je ne peux pas te la faire à toi. Bref. J'ai bossé et j'en ai eu marre, donc je me suis allongé dans l'herbe. Et puis, je me suis fait attaquer par un chien. Son chien, j'ajoute doucement.

﹘ Elle t'a fait un sacré effet dis-moi. Je le vois dans tes yeux.

﹘ Oui, c'est vrai. On aurait dit un ange. De longs cheveux blonds comme les blés, des yeux plus bleus que le ciel sans nuages. Elle était vêtue tout en blanc et reflétait la lumière du soleil. C'était vraiment... vraiment....

﹘ On dirait moi le jour où j'ai rencontré ta mère, me lance-t-il.

Sa remarque me coupe court. Il ne parle jamais de ma mère. Mais j'ose souvent imaginer comment ils pouvaient être à cette époque. Elle, je ne l'ai jamais connue. Elle a disparu alors que je n'avais que quatre mois. Nous laissant seuls mon père et moi. Par contre, je sais que mon père n'a jamais cessé de l'aimer. Je crois même qu'il ne lui en veut pas de nous avoir abandonnés. Pour ma part, je n'ai pas d'avis sur elle.

Voyant le désarroi dans son regard de s'être rappelé à ce souvenir, je reprends la conversation.

﹘ En tout cas, elle avait besoin de contrôler son chien. Je l'ai aidée et elle est partie, rien de plus. Je ne connais rien d'elle hormis son nom et son chien et je ne pense pas la revoir un jour. (Dans notre monde individualiste, ces rencontres sont rares et qu'elles perdurent l'est encore plus.) Donc voilà, c'est juste un épisode isolé dans ma vie. Un épisode qui m'a entre-autre empêché de travailler aujourd'hui.

﹘ Oui, c'est ça ! Comme si tu avais besoin des autres pour t'empêcher de bosser, dit-il en éclatant de rire. Athan, mon grand, je sais que tu fais de ton mieux en ce qui concerne tes études, mais je sais aussi et surtout que tu n'en as pas grand-chose à faire. Tu travailles parce que tu le dois, pas parce que tu le veux, je le sais et je comprends cela. En ce qui concerne cette jeune demoiselle, si je peux te donner un conseil, vu ton regard pétillant quand tu parles d'elle, ne la laisse pas filer. Fais-moi confiance, tu le regrettrais.

Que puis-je répondre à cela ? Mon père, comme toujours, avait anticipé les choses. Il est encore mieux qu'un psy ! Et bien moins cher ! J'oublie parfois à quel point on se ressemble tous les deux et à quel point il me comprend et m'accepte comme je suis avec ma ribambelle de défauts.

          Nous continuons à jouer pendant près d'une heure, explosant de rire la moitié du temps. Je chéris plus que tout ces moments père-fils. Ils sont souvent ma bouffée d'oxygène dans mon quotidien laborieux. J'en profite un maximum, toujours jusqu'à la dernière seconde. Ce n'est qu'au premier signe de fatigue qu'il met un holà à ces soirées. Il est bientôt minuit trente quand je baille.

Nous rangeons le salon. Juste avant que je ne me dirige vers ma chambre, mon père me prend dans ses bras, ce genre d'étreinte qui disent plus que de simples mots.

﹘ Merci papa, je souffle.

﹘ Avec plaisir petit pote. Je t'aime.

Alors que je me dirige vers ma chambre, poussé par Morphée, je vois mon père se diriger dans la cuisine. Il se remet au "travail". Qui sait s'il ne va pas y passer la nuit, comme les trois dernières fois. Parce qu'en vérité, ce qu'il fait, c'est qu'il cherche ma mère. Il a commencé il y a environ deux ans et plus le temps avance, plus il s'engouffre dans ces recherches. J'ignore s'il a des pistes ou s'il la retrouvera un jour. Ma seule certitude, c'est que jusqu'à maintenant, ça lui fait plaisir. Je ne peux pas et ne veux pas le priver de cela.

            Avant de m'endormir, je repense à ma journée. À quel point je n'ai encore pas avancé dans mes études de l'Histoire. À quel point mon père et moi sommes heureux lors de ces soirées. À quel point cette journée de plein air m'a fait du bien. Et finalement, mes pensées s'arrêtent sur elle. Chris. J'ignore pourquoi elle me fait cet effet-là et à quel point cette petite rencontre va bouleverser ma vie. Ce que je sais, c'est que je veux la revoir, coûte que coûte. 

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant