Chapitre 15 : Chris

8 1 0
                                    

           La question d'Athan me tourne dans la tête depuis plusieurs heures maintenant. Et je n'y ai toujours pas trouvé de réponse. En même temps, qu'est-ce que deux ados de quinze ans peuvent faire contre un système mis en place depuis des siècles, contre un régime si puissant, contre l'image de l'intelligence ?

Cette nuit, je dors chez Athan. Il m'avait plusieurs fois expliqué que sa porte m'était grande ouverte et aujourd'hui, je n'aurais pas pu rentrer chez moi, me retrouver seule dans cette maison avec Allia, pas après ce qu'elle m'a fait. J'ai ainsi pu rencontrer son père, il m'en avait tellement parlé. Je suis heureuse de le connaître enfin, ils ont une telle complicité, ça me touche. J'aurais tant aimé partager ce genre de relation avec mon père. Même si nous sommes proches, il ne s'avère pas très doué pour les émotions, pas plus que moi d'ailleurs. En tout cas Ed m'a accueilli à bras ouverts. C'est agréable cette chaleur, cette impression de famille après des semaines sans rien. Ça m'avait manqué et, en fait, je ne savais même pas que ça me manquait.

            Leur appartement est petit, alors, nous dormons dans la même chambre. Athan m'a laissé son lit et s'est installé un vieux matelas sur le sol. Comme je m'imaginais mon tendre poète, il a été galant toute la journée, toute la soirée. Dans la pénombre de la chambre, je l'observe.

Un rai de lumière entre dans la pièce par la fenêtre permettant d'apporter la juste luminosité nécessaire pour me permettre de le contempler dans son sommeil. Je l'ai souvent vu ainsi dans le parc, quand nous étions allongés dans l'herbe. Mais c'est différent aujourd'hui. Tout a changé. Je le vois d'un autre œil. Je l'observe pendant de longues minutes, avant de me laisser emporter par le sommeil.

            À peine trois heures plus tard, je me réveille en nage. Mon esprit n'a pas ralenti de la journée, et quand Morphée m'a accueillie, il m'a envoyé des cauchemars. Cette nuit, j'ai revécu ma matinée d'horreur. Ce n'est que lorsque j'ai senti une nouvelle fois les mains de ma sœur serrer mon cou que je me suis réveillée. Et alors, impossible de me rendormir. Je me tourne et me retourne dans le lit, mes muscles encore tétanisés par mon rêve. Je me refuse à réveiller Athan, il a besoin de dormir, la journée a également été riche en émotions pour lui.

Au bout d'un moment à regarder le plafond et à ruminer, je considère que je peux mieux utiliser mon temps lors de cette nuit blanche. Je fouille dans le bureau pour trouver une lampe torche et je récupère les documents informatifs du Cénacle. Je décide de les étudier à nouveau. Je dois comprendre ce qu'il se passe. Trouver une faille. Trouver comment arrêter tout ça.

Le document le plus important, est un compte rendu de réunion restreinte. Elle a eu lieu cinq jours après la désignation de leur nouveau membre. Et d'après ce compte rendu, elle a dû faire une très forte impression lors de cette réunion. Voilà le passage le plus important :

            Les dons parapsychiques se développent chez certains individus aux capacités mentales et à la concentration accrue. Un exemple de sélection naturelle, manipulé par le gouvernement Callidus. A fortiori, des gènes rares auraient fait leur apparition dans le génome humain, qui subissent dans certains cas une mutation menant au développement d'un don. Au 27ème siècle, sept capacités ont été identifiées. Moins de 5% de la population acquiert de nos jours de telles potentialités. Ils sont identifiés et recensés. Le 4ème Conseil les a nommés Obliquatur, les déviants. Craints pendant des décennies pour leurs capacités hors normes, ils seront aujourd'hui des membres à part entière de la société, principalement intégrés à la Garde, ils serviront le Conseil en maintenant la paix et en répertoriant les zones de non droits et les Amentis. Ils seront formés pour traquer les bannis et les éliminés. Certains individus seront sélectionnés pour participer au programme Patrinus. Nous étudierons comment les dons parapsychiques se développent et la possibilité de les transférer d'un individu à un autre.

           C'est quand même incroyable. Nous venons de découvrir que des gens ont des pouvoirs psychiques. J'ai fait quelques recherches dans ces documents et il se pourrait que n'importe qui ait la capacité de déplacer des objets par la pensée, de contrôler l'esprit d'autrui, de suggérer des pensées, des images. J'ose à peine imaginer. Et j'ai du mal à comprendre pourquoi cet élément a été gardé secret pendant des décennies. Mais ce qui est le plus effrayant, c'est qu'ils souhaitent réformer complètement la Garde qui va se transformer, d'un groupe de soutien à la paix, à une milice chargée d'un génocide. Les Amentis ne vont pas voir la menace arriver et beaucoup d'entre eux vont mourir.

            Je passe le reste de la nuit à réfléchir à ce sujet. Comment pourrais- je aider les Amentis ? À mon échelle, c'est impossible. Je n'ai que quinze ans après tout, aucun pouvoir, aucun contact. Oui, il y a mon père, mais premièrement, je ne veux pas le mettre en porte-à-faux avec le Cénacle et deuxièmement, c'est moi qui suis passionnée par le Droit du peuple. Ce serait beaucoup trop risqué d'impliquer mon père dans cette histoire.

Je tourne la tête vers Athan et tout à coup je me dis que je n'aurais pas dû l'impliquer. Si nous décidons d'agir, nous nous embarquons dans une guerre contre le Cénacle lui-même. D'après ce que j'ai pu lire et apprendre au cours de ma vie et ces dernières heures, le Cénacle cache beaucoup de choses et est extrêmement puissant. Je me dis même que certains membres peuvent avoir des dons. Dans ces conditions, se lancer ouvertement contre eux serait périlleux et vraiment une mauvaise idée. Je ne peux pas mêler Athan à ça. Depuis des semaines, il m'apprend comment vivre ma vie. Il veut une vie simple, qu'il a choisie. Je ne veux pas lui enlever ça. Je dois trouver le moyen de mener ce combat, seule.


            Quand le soleil se lève, je suis toujours en train de lire. Je n'ai pas réussi à me rendormir, trop de choses dans la tête. J'entends Athan bouger pas très loin de moi et quand je tourne la tête, je constate qu'il me regarde, les yeux encore à moitié endormis, avec un grand sourire.

﹘ Bonjour, articule-t-il doucement.

﹘ Bonjour toi.

Je jette mes documents sur le sol et ouvre les draps pour l'inviter à me rejoindre. Il ne se fait pas prier et vient se coller à moi.

﹘ Tu n'as pas bien dormi ma belle ?

﹘ Ce n'est pas important.

Il me serre dans ses bras. Ma tête sur son torse, j'écoute les battements lents de son cœur. Et en quelques minutes, le sommeil me gagne.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant