Chapitre 13 : Athan

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            Je perds Chris petit à petit au fil des jours. Ses angoisses prennent le pas sur elle et cela me navre. J'ai beau lui répéter, encore et encore, que je suis là pour l'aider, que mon père est d'accord pour l'héberger au besoin et qu'elle ne doit pas sombrer et se plier à ses peurs, elle est trop fière et trop ancrée dans la situation pour m'écouter ou en tout cas pour prendre réellement conscience de ce que je lui propose. Et je la comprends. Mais c'est très difficile pour moi de voir mon amie dans cette situation. J'ai peur pour elle. Je suis triste pour elle. Mais malheureusement, je ne peux rien faire de plus qu'être présent. Tant qu'elle n'accepte pas davantage, j'ai les pieds et poings liés sur la situation.

            Ce matin, je me retrouve au parc, sur notre banc, comme d'habitude. Et comme d'habitude, je suis le premier sur les lieux. Chris arrive toujours dix minutes après moi peu importe à quelle heure j'arrive. C'est un don qui n'appartient qu'à elle. Je m'allonge sur le banc. Je ne commence jamais sans elle, en général, je n'en ai pas la foi. Au bout de plusieurs minutes, je me relève brusquement. Quelque chose ne va pas. J'ai un mauvais pressentiment.

Je regarde ma montre, je suis là depuis vingt-trois minutes. Et Chris n'est pas là. J'ai beau me persuader que ce n'est rien, qu'elle a dû avoir du mal à sortir du lit pour une fois, ma tête et mon cœur pensent différemment. Ma tête est rationnelle. Mon cœur, lui, me signale à chaque instant que ce n'est pas normal.

Chris et moi avons un lien particulier qui parfois est si fort que je pourrais presque le toucher. Un lien invisible qui vibre quand je suis prêt d'elle. Un lien inconditionnel.

Mon pressentiment s'intensifie. Mes membres se crispent, je commence à avoir un arrière-goût dans la bouche. Je crains le pire. Sans réfléchir une seconde de plus, je fonce en direction de chez elle. J'en laisse mes affaires dans le parc. Rien à faire. Tout ce qui m'importe, c'est elle. Elle seule compte à ce moment précis.

           Je cours plus vite que je n'ai jamais couru de ma vie. Mon corps prend le relais. Je ne pense plus à rien. Juste à elle. En deux minutes, je me retrouve en face de sa maison, le souffle court. Lorsque j'entends les cris à l'intérieur tout juste couverts par les aboiements de Neige, mon sang ne fait qu'un tour. J'enfonce la porte d'entrée sans réfléchir, et je pars à la recherche de Chris. Ses hurlements me guident à travers la maison.

﹘ Je t'en supplie Allia ! Arrête !

J'entends comme une main que l'on claque sur une joue alors que je gravis les escaliers deux à deux.

           Au moment où j'atteins le palier, plus rien. Rien sauf une respiration saccadée et faible. J'avance dans le couloir puis trouve une porte ouverte et enfin je tombe sur une scène d'horreur. Chris est à terre, le nez en sang. Allia, beaucoup plus grande, est juste au-dessus d'elle et lui bloque les jambes avec les siennes. En m'approchant, je change d'angle de vue et je constate qu'Allia étrangle Chris. Cette dernière lève les yeux vers moi. Ses yeux pleins de larmes me hurlent de venir à son aide. Ni une ni deux, je me jette sur Allia.

Je ne suis pas un grand bagarreur, je ne me suis même jamais battu, mais je ferais tout pour Chris. Allia m'ayant entendu arriver me donne un coup de coude dans l'estomac sans même lever la tête vers moi. J'ai le souffle coupé, mais je pense à Chris qui étouffe complètement sous le poids de sa sœur.

Je tente à nouveau un coup contre Allia, et cette fois-ci, j'arrive à atteindre ses reins avec mon pied avant qu'elle ne pare mon coup. Elle pousse un cri strident avant de lâcher le cou de Chris, de se lever et de se tourner vers moi.

﹘ Tu veux jouer les durs ?! Hein ?! me demande-t-elle avec une fureur dans le regard. Oh, mais oui bien sûr ! Tu dois être Athan ! Le merveilleux Athan. Tu ferais mieux de partir mon grand, cette affaire ne te concerne pas.

Je ne l'écoute pas. Je vois seulement Chris à terre peinant à reprendre de l'air dans ces poumons. La rage me prend. Je ne peux pas laisser une chose pareille arriver sans agir.

﹘ Cette affaire me concerne au contraire, parviens-je à articuler.

﹘ Voilà le héros ! s'exclame-t-elle en riant. Bien, tu veux jouer à ça ?! On va jouer !

Elle m'attrape le bras droit avec une grande violence et une force impressionnante.

﹘ Toi tu n'as pas intérêt à bouger de là, je n'en ai pas fini avec toi ! lâche-t-elle à l'attention de Chris encore tremblante au sol, juste avant de me forcer à quitter la pièce. Elle me guide avec force jusqu'en bas où nous nous retrouvons seuls.

.............

             Après presque quinze minutes, je remonte trouver Chris. Je m'en sors avec deux ou trois bleus et peut être un œil au beurre noir, mais étonnanement je m'en sors bien.

Chris s'est recroquevillée dans un coin de la pièce, complètement tétanisée, la tête entourée de ses bras et enfouie dans ses cuisses. Pour elle, le combat a été plus rude. Je m'approche doucement d'elle, m'agenouille juste à ses côtés et lui touche le bras. Elle a un sursaut puis quand elle voit que c'est moi, elle me saute au cou et fond en sanglots. J'arrive à percevoir dans sa plainte deux petits mots désespérés : "mon poète".

Nous restons là sans bouger pendant plusieurs minutes. Chris est dans mes bras, son visage contre mon torse, elle n'a pas la force de me lâcher. Je suis content qu'elle accepte enfin mon aide même si j'aurai préféré que les choses se passent autrement. Lorsqu'elle reprend enfin un peu de contenance, elle me demande avec une voix tremblante :

﹘ Que s'est-il passé Athan ? Où est-elle ?

﹘ Ne t'en fais pas Chris. Allia ne te fera plus rien aujourd'hui, ni jamais je l'espère. Elle a voulu s'en prendre à moi, mais j'ai réussi par je ne sais quel miracle à la convaincre de tout arrêter.

          J'ai du mal à comprendre exactement ce qu'il s'est passé dans le salon. Je ne pensais qu'à une chose, Chris. Je devais éloigner sa sœur d'elle. Je devais tenter par tous les moyens de ramener Allia à la raison. Mes armes, ce sont les mots. Alors je lui ai parlé. J'ai reçu un coup de poing au départ et une sévère claque sur la joue droite. Mais alors qu'elle me tenait par le col, alors que je la regardais dans les yeux, que je lui parlais, que je tentais de la convaincre de tout arrêter, elle m'a lâché. Simplement. C'est à peine si je me souviens ce que je lui ai dit, j'étais trop absorbé par l'idée que mon amie était seule en haut terrorisée. Après encore deux ou trois échanges, Allia m'a tourné le dos et est juste partie.

Je sers Chris plus fort dans mes bras pour finir de la calmer et m'engage à lui dire :

﹘ Je savais que ça finirait mal un jour Chris. J'aurais dû suivre mon instinct et t'obliger à m'écouter. C'est de ma faute ce qui est arrivé aujourd'hui.

Elle lève les yeux vers moi. J'ai horreur de la voir si triste, ça me brise le cœur. Je place ma main sur sa joue pour essuyer les larmes qui y coulent encore puis descend doucement mes doigts pour effleurer son cou meurtri. Un "je suis désolé" m'échappe dans un souffle et c'est à mon tour de sentir les larmes couler.

Chris se redresse légèrement, nos visages à hauteur l'un de l'autre, sa lèvre inférieure tremble encore à cause de l'émotion. Elle plonge son regard dans le mien. Nous échangeons bien plus à ce moment précis avec nos yeux que nous n'avons jamais échangés au cours de nos journées.

Je rêvais d'un instant comme celui-ci depuis des jours, et j'ai presque horreur de savoir que c'est à ce moment précis. Puis je dis que ce n'est pas la peur de se perdre ou l'envie de se consoler qui l'a poussé à agir, à se livrer. Non, je comprends dans ses yeux, que c'est la joie de pouvoir continuer, l'espoir d'un avenir qui lui a donné le courage.

Elle pose alors ses lèvres sur les miennes. Elle m'embrasse de ses lèvres douces et alors le monde autour de moi disparaît.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant