Chapitre 53 : Athan

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Je la revois comme au premier jour. Belle et gracieuse telle un ange éclairant mon quotidien. La tenue de Sentinelle a disparu, ma Chris est revenue. Vêtue de blanc comme à son habitude, une longue tresse blonde tombant dans son dos, elle observe le ciel diurne. Le soleil chaud et doux frappe son visage, l'illuminant complètement. Nous sommes peut-être dans un rêve, mais elle est là, et je me rends compte que c'est elle mon rêve. Quand elle ramène ces yeux azuréens sur moi, mon cœur chavire. Cette vision d'enchantement, je le sais, sera gravée à jamais dans ma mémoire comme mon plus beau souvenir.

Je retrouve la Chris que j'ai rencontré alors que nous n'avions que quinze ans ; la jeune fille pleine de vie qui courait après son chien, l'enfant forte qui n'a pas eu vent des atrocités secrètes de ce monde, l'adolescente passionnée voulant simplement vivre sa vie.

Dans cette vision, je ne l'ai pas trahie, nous n'avons pas perdu les êtres chers à notre coeur, nous ne sommes pas prisonniers d'une psychopathe au don de manipulation mentale, je n'ai pas été torturé, je ne suis pas un Obliquatur. Non, à cet instant présent, nous sommes juste Athan et Chris, des partenaires de longue date, des amis sincères (qui certes ont fait des erreurs).

Nous nous sommes vus il y a à peine quelques heures, et pourtant, notre étreinte est celle de deux âmes éloignées depuis longtemps. La distance qui nous séparait s'est réduite en un rien de temps pour que nous nous jetions dans les bras l'un de l'autre. Je serre mes bras autour de son buste si fort que je pourrais l'étouffer, je la ceins avec ferveur de peur de ne plus jamais pouvoir le faire. Sa tête dans le creux de mon cou, je la sens s'effondrer contre moi, ses larmes coulant sur mon épaule.

Nous avons le temps, car celui-ci n'a pas de prise sur les rêves engendrés par Caleb, ainsi je laisse le temps à Chris de pleurer sur mon épaule.

﹘ Je suis désolée, arrive-t-elle à articuler entre deux sanglots.

﹘ Non. Tu n'as pas à l'être alors que tu as tout risqué pour moi. Rien de tout cela n'est de ta faute, nous sommes tous les deux les victimes dans cette histoire.

﹘ Snif... j'aurais dû savoir pour Allia.

﹘ Ne t'en veux pas, tu n'aurais pas pu le savoir. Et en vérité, c'est ma faute.

Ça c'est la vérité. Si je n'avais pas eu ce fichu pouvoir d'empathie, Allia n'aurait pas changé de comportement et Chris n'aurait pas été trahie. Je n'étais pas conscient de ce que je faisais à l'époque, mais c'est ainsi. Allia est mon erreur, pas celle de Chris.

﹘ J'ai été incapable de te sortir de là.

Je ne peux pas la laisser se condamner pour des faits sur lesquels elle n'a aucune emprise. Je me décroche de ses bras et lui prends le bas du visage en coupe. Je tiens alors son visage devant le mien, ancrant mon regard au sien.

﹘ Chris, écoute-moi. Ne pense pas à ce qui aurait pu se passer, n'essaye pas d'imaginer comment les événements auraient pu tourner. Les choses sont telles qu'elles sont pour différentes raisons. Nos actions et nos choix nous ont menés là pour une bonne raison.

﹘ J'ai l'impression d'entendre Emilia.

﹘ À ton avis, qui lui a soufflé cette idée. (Un rictus passe furtivement sur son visage) Nous ne sommes pas dans la meilleure des positions, c'est certain, mais nous sommes peut-être dans la meilleure configuration possible pour faire changer la situation actuelle. Nous devons juste nous faire confiance.

﹘ À quoi bon ?

﹘ Non Chris. Pas nous faire confiance mutuellement ou à Caleb, ou à Emilia. Tu dois te faire confiance et je dois me faire confiance. Depuis toujours, nous comptons sur les autres, toi comme moi, pour surmonter les épreuves, et nous savons que ce n'est pas une grande réussite. Aujourd'hui, nous devons changer de stratégie et compter sur nous-même. Tu es forte Chris, c'est ta force qui m'a permis de tenir et d'avancer ces dernières années. Aie confiance en toi, crois en toi, en ton intelligence.

Elle me regarde comme si j'étais fou pourtant, je sais que j'ai raison. Elle a toujours été mon moteur pour avancer.

﹘ Qu'est-ce qu'il y a ? finis-je par demander alors que ses lèvres expriment un mélange de satisfaction et de dédain.

﹘ Mon poète, ce beau parleur.

Je baisse la tête pour cacher le fait que je retiens un fou-rire. Je relève les yeux vers elle, les larmes ont cessé de couler, son merveilleux sourire éclaire à nouveau ses traits et son regard plein d'amour et de compassion me scrute avec attention.

﹘ Bravo.

Elle m'a encore piégé. Elle m'a fait comprendre par moi-même que j'avais encore en moi l'énergie pour réussir. Jamais durant nos séances de travail elle ne m'a donné directement la réponse à mes interrogations. Elle m'a toujours guidé, et parfois un peu manipulé, pour que je trouve la réponse par moi-même à ce qui me tourmentait.

Je me fais avoir à chaque fois. J'aurais pu le voir. Mais voilà, ces derniers jours ont été une épreuve pour moi, j'ai perdu confiance en moi, j'ai perdu mon courage, ma volonté. Je devais les retrouver. Demain, je vais en avoir besoin.

Nous nous sommes remontés le moral l'un et l'autre, comme nous l'avons toujours fait. Nous avons toujours été connectés, sur la même longueur d'onde malgré nos différences. Nous nous comprenons et c'est ce qui fait que nous avançons ensemble. Je me fais à nouveau confiance. Mais je crois aussi fort en Chris qu'en moi-même si ce n'est plus. Nous sommes clairement plus forts à deux et nous le prouverons au Cénacle.

Nous profitons le plus possible, nous baladant dans la clairière dans laquelle nous nous trouvons. Les arbres majestueux nous donnant juste l'ombre qu'il faut, l'air frais animant les feuillages au-dessus de nos têtes, le soleil chatouillant notre peau. Allongés dans l'herbe fraîche, côte à côte, nous observons le ciel azur, les oiseaux virevolter. J'effleure un brin d'herbe des doigts et me dit que rien de cela n'est réel et pourtant, je ressens les mêmes sensations que dans notre parc il y a des années.

﹘ Ça me manque, murmure-elle.

﹘ Quoi donc ?

﹘ Tout ça, ces moments. Finalement, après que tu sois revenu, nous n'avons pas repris cette habitude que nous avions.

﹘ Nous avions des problèmes à gérer, je lui réponds cynique.

﹘ Oui, c'est vrai, mais quand nous avions quinze ans aussi. C'est dommage que nous n'ayons pas refait cela. C'est tellement agréable.

﹘ Ce n'était pourtant pas ce que tu préférais au début, madame "je veux étudier". (Un coup de coude sur le côté me coupe l'envie de ricaner) Je comprends ce que tu veux dire. Moi aussi ces petits moments me manquent. Mais... ce n'est pas la seule chose qui me manque.

﹘ Quoi d'autre ?

Les yeux fermés, elle ne m'a pas vu me relever sur mes bras pour l'embrasser. Nous avons perdu du temps tous les deux et j'en suis responsable. Aujourd'hui, aux portes de notre avenir, je veux tenter de le rattraper.

﹘ Ce n'est pas une réponse, me taquine-t-elle.

﹘ Ah bon ? Tu n'as pas entendu ?

﹘ Quoi ?

﹘ Ce baiser, il a dit plein de choses.

﹘ Non, je n'ai rien entendu. Qu'a-t-il dit ?

﹘ Il a dit que nous avons manqué de vivre. 

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant