Chapitre 21 : Athan

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           Je pense encore que j'aurais dû rejoindre Chris, mais j'avoue qu'aujourd'hui, la situation m'échappe. Malgré mes efforts, je n'assimile plus aucune information depuis quelques jours, le pire, c'est que je commence même à oublier certaines choses. En soi, rien de bien grave. Seulement dans notre monde, avec le Test qui arrive, je ne peux pas me le permettre. Je n'ai déjà pas été très assidu jusqu'à présent dans mes études, donc si à cela on ajoute une perte de mémoire, je suis loin de pouvoir assurer mon avenir. J'en ai parlé à mon père et c'est à ce moment que mes certitudes et mes projets se sont vraiment effondrés.

J'ai appris à cette occasion pourquoi ma mère a disparu. À peine quelques mois après qu'ils se soient rencontrés, mes parents m'attendaient déjà. Ils avaient vingt ans tous les deux. Après deux mois de grossesse, ma mère a commencé à perdre ses capacités intellectuelles. Perte de mémoire, confusions, mémorisation de plus en plus difficile. Mon père l'a aidé autant qu'il l'a pu. Ils se sont accrochés, dans l'objectif de se créer un avenir commun. Je suis né et voyant mon père tellement heureux, ma mère n'a pas supporté l'idée de détruire sa vie. J'avais quatre mois quand elle est partie. Abandonnant mon père (et moi) pour nous laisser la possibilité de créer un bel avenir. Mon père en est persuadé, elle n'a jamais pu réussir le Test et est donc devenue une Amentis.

Je repense alors à Chris et à ce qu'elle a trouvé dans le bureau de son père. L'élimination des Amentis. Mon cœur a eu du mal à le supporter. Et c'est à ce moment que mon père l'a détruit pour de bon.

﹘ Mon grand, tu dois absolument la laisser partir. Ne l'embarque pas dans cette épreuve. Vous en souffrirez sur le moment, mais c'est le meilleur moyen de vous protéger l'un comme l'autre.

J'ai tout fait pour m'éloigner autant que je le pouvais de cette possibilité. Il est totalement inimaginable que je l'abandonne, surtout pas après tout ce qu'elle a vécu. Mon père savait que je serais incapable de prendre la décision moi-même, alors il ne m'a pas laissé le choix. Et il m'a obligé à partir. Au fond de moi, je savais que c'était la meilleure chose à faire, seulement je n'avais pas la force de l'exprimer et de la comprendre pleinement.

           Nous sommes la veille de notre départ et l'insomnie me gagne. Tout tourne dans ma tête. Mon passé et le fait que les études ne m'ont jamais passionné et maintenant que ma vie, mon avenir, ne tiennent plus qu'à un fil, je le regrette. Ma mère et l'éventualité qu'elle ait été éliminée par le Cénacle. Mon présent et mon avenir qui plus que jamais sont intimement liés. Chris. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques mois seulement. Et voilà, que la vie fait tout pour nous séparer alors que lorsqu'elle est absente, je me sens vide.

Je scrute mon plafond depuis une heure, avec une seule idée en tête. Je ne peux pas partir sans la voir une dernière fois, je dois lui expliquer un minimum, je ne peux pas juste l'abandonner. C'est inconcevable. Alors je me lève et quitte discrètement l'appartement.

Tout est calme dehors. Le calme avant la tempête. Il ne pleut pas, mais l'orage gronde au loin. J'arrive devant chez elle et reste posté là plusieurs minutes, sans bouger. Comme la première fois que je me suis retrouvé là. Les yeux dirigés vers sa fenêtre à moitié ouverte. Je dois trouver un moyen de lui parler. Je trouve comment grimper à sa fenêtre avec beaucoup de difficultés, clairement, je ne suis pas un cascadeur. J'y parviens toutefois, avec quelques écorchures, en me disant que mes sentiments m'ont donné des ailes. Et à mon plus grand regret, elle n'est pas dedans.

           Je rentre quand même parce qu'elle doit être dans la maison et devrait revenir sous peu. Pendant ce temps, je fais le tour de cette chambre à l'image de Chris. Ordonnée, blanche, avec des livres partout. Seul élément prouve que quelqu'un vit ici, c'est le lit défait. Je trouve sur son bureau son carnet de notes ouvert. Elle était en train de m'écrire une lettre. Elle y décrit la situation depuis le départ d'Allia et que malgré la tension entre son père et elle, elle est heureuse.

              À ce moment, je prends conscience de ce que je fais. Si je lui parle, je lui briserai le cœur, bien plus encore. Elle s'est reconstruite ces dernières semaines. Je sais que mon départ va lui faire du mal, mais je ne peux finalement pas me résoudre à lui faire ça. Lui permettre de me voir cette nuit et l'abandonner ensuite. Car même si elle a dit à mon père que je lui manquais, elle a construit sa vie sans moi pendant des jours. Que je m'en aille lui fera mal, mais moins si je disparais seulement. Ainsi, elle gardera juste ce dernier souvenir de mes seize ans et de cette merveilleuse journée que nous avons passée. Alors malgré ma peine et les larmes qui montent, je prends une nouvelle fois une décision difficile.

Avant de partir, je m'approche de son lit pour sentir une dernière fois son odeur, présente sur ses oreillers sur lesquels une larme tombe. Je jette un dernier coup d'œil à la pièce, gravant pour toujours dans ma mémoire le souvenir de Chris. Et je prie pour que malgré mes pertes de mémoires, notre histoire y reste imprimée. Et cette fois-ci, alors que l'orage éclate dans le ciel nocturne, je lui tourne le dos et je l'abandonne. 

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant