Chapitre 42 : Chris

1 1 0
                                    

              Sur les conseils d'Allia, je quitte la maison. Le Cénacle n'en a pas du tout contre moi mais par précaution, il vaut mieux que je me cache. Tant qu'à faire, là où ils ne penseront pas à me chercher.

J'arrive à l'appartement sur les coups de onze heures. Le seul endroit où personne ne viendrait me chercher car justement à découvert. Il faut savoir prendre l'ennemi à revers. Athan avait laissé sa clé dans la chambre de mon père et m'avait plusieurs fois indiqué ces derniers jours cette adresse. Un appartement au centre de la ville. À peine à quelques kilomètres de ceux qui m'ont tout pris. Un lieu où Athan a passé près de quatre ans, dans l'angoisse de sa maladie mais aux côtés de l'homme qui a toujours tout fait pour lui créer la meilleure des vies.

Cet appartement lui ressemble. Un peu en désordre, rempli de plantes en tout genre, des photos posés sur les étagères, de lui enfant, de son père et... de moi. Mon coeur fond complètement. Je n'ai jamais cessé de faire partie de sa vie. Combien de temps avons-nous perdu ces dernières années ? Combien de gestes ais-je refoulé par rancune ? Combien de mots tendres j'ai laissé passer ? Combien de baisers ? Et maintenant que l'avenir est à notre porte, sans pour autant pouvoir être touché du doigt, je regrette.

Je me pose sur le lit d'Athan, avec mes dossiers et mon ordinateur. Je veux me sentir proche de lui car ce que j'ai prévu de faire, c'est pour lui. Je refuse de me morfondre comme j'ai pu le faire à l'époque. Aujourd'hui, je dois me battre. Il n'est pas question d'abandonner et de détruire ce que nous avons reconstruit ensemble. Je ne laisserai pas le Cénacle diriger et briser ma vie plus longtemps.

Je contacte mon père pour lui annoncer les événements de ce matin. Il me demande où je suis mais je ne peux pas lui répondre. Je dois, à partir d'aujourd'hui, garder le plus d'informations me concernant pour moi seule. Car, si Athan est aujourd'hui dans les mains de ces enflures, c'est parce que des informations ont fuité. J'ignore comment. Et pour cette raison, je ne dirais plus rien par message informatique. Je réponds juste à mon père que je suis en sécurité et lui me conseille de rester tranquille et de ne pas faire de bêtise. Mais ça, ce n'est pas ce que j'ai en tête.

Quand j'aurai fait ce que je m'apprête à faire, les évènements vont s'enchaîner et je ne pourrais plus vraiment les maîtriser. Mais c'est à mon sens, le seul moyen pour gagner du temps. Je vérifie les derniers éléments de mon dossier, m'assure que tout est en place pour faire le plus de dégâts possible. Et j'envoie.

J'ai passé presque sept ans de ma vie sur ce dossier. J'ai regroupé tout ce que je pouvais, parfois avec des moyens très faibles.

Toutes les données concernant le Test et ses modifications depuis l'arrivée de la nouvelle, le pourcentage de réussite et surtout de défaite au Test et ce que cela implique.

Un rappel du destin des Amentis, d'abord abandonnés à leur sort. Forcés de fuir les villes, leurs familles et de se réfugier dans des camps qui ressemblent à des no man's land. Abandonnés par la société, incapables d'avoir un métier, incapable d'intégrer leurs enfants dans le monde qu'ils ont laissé. Et ensuite, traqués sur les ordres du Cénacle par les Obliquatur. Assassinés ou capturés pour être torturés. Un sort horrible, parfois pire que la mort. Un destin que nombre de gens, nombre de familles ont vécu.

Des rapports de la Garde fournis par Allia sur le nombre de morts, des listes de noms. Des rapports du Cénacle sur des essais de transfert de pouvoirs, voués à l'échec dans cent pourcent des cas.

Des témoignages, malheureusement peu nombreux, d'Amentis ou de leurs familles, ayant survécu par miracle et racontant l'horreur qu'ils ont vu.

Je sais que la plupart de la population ignore tout cela. Ils ne peuvent même pas penser que tout cela puisse exister. Je vais leur apprendre la vérité. Je vais leur apprendre que quatre-vingt pourcent d'entre eux sont destinés à mourir. Et je doute qu'ils ne réagissent pas.

Je patiente depuis plus d'heure. Rien. Absolument.

﹘ Des années de travail réduites à néant ! Je hurle en refermant mon ordinateur.

Je m'allonge alors sur le lit, emmitoufle mon visage dans les oreillers de mon poète. J'essaye de me raccrocher à un semblant de vie alors que tout m'échappe et alors que j'hume cette odeur qui me réconforte, je m'endors.

Pendant mon inconscience, les quelques réseaux d'informations existants ont été pris d'assaut, et saturent de messages de colère. En seulement quelques heures, des émeutes frappent dans toute la ville, et particulièrement au siège du Cénacle et à la Tour Ambre. Les Conseillers tentent de faire des allocutions pour amener la population à se calmer mais c'est peine perdue. Trop de gens sont en colère. Partout dans le monde, les gens se soulèvent et attaquent les filiales du gouvernement. En reprenant conscience, je vois le résultat de mes actes, et un sourire de satisfaction s'étire sur mon visage.

Les Amentis viennent de découvrir le sort qui leur est réservé ; les familles de ceux qui ont été tués ces dernières années ont compris que la mort de leurs proches n'avait en réalité aucun sens ; les jeunes gens qui se préparent pour leur Test futur apprennent que seulement douze pourcent d'entre eux réussiront malgré leurs efforts ; toute la population découvre l'existence des Obliquatur, ces êtres possédant des dons et ne comprennent pas pourquoi on leur a menti ; tous découvrent que des Amentis sont parfois utilisés pour des tests inhumains afin de donner encore plus de pouvoir au Cénacle et à la Garde et ainsi contrôler encore mieux la population.

Peu de réseaux d'informations existent encore aujourd'hui. Après tout, nous sommes dans un système totalitariste, le Cénacle choisit ce qu'il veut montrer à la population. Mais aujourd'hui, le Cénacle ne contrôle plus grand chose. Entre les allocutions des Conseillers, apparaissent des images des émeutes. Les Sentinelles descendues dans la rue se font lyncher par la population. Les portes de la capitales sont assiégées par des mères, des pères, des fils, des filles, trahis par leur gouvernement et qui viennent demander justice. Ce fut si rapide. Comme si, tout le monde attendait un signe pour se révolter.

Tous les secrets du Cénacles révélés au grand jour, preuves à l'appui. Chacun est concerné. Quelque soit son sexe, sa classe, sa vie et son passé. Tout le monde va se soulever contre le gouvernement. Mon arme. Ma bombe pour désarçonner le Cénacle. Ma manœuvre pour leur faire penser à autre chose.

Ils ont beau être puissants, ils vont devoir faire des choix et gérer les problèmes selon leur importance. Une révolte mondiale devrait être leur priorité et donc Athan le cadet de leur souci.

Je n'avais pas prévu de faire cela maintenant. Je voulais mettre le Cénacle devant le fait accompli, pris en flagrant délit. Mais il a fallu que je joue mes cartes. Je reçois des messages de remerciement de toute part. Je suis fière de moi. Malheureusement, j'ignore où cela va nous mener. En tout cas, j'ai une fenêtre de tir maintenant. Je peux trouver un plan pour sortir Athan de là.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant