Chapitre 51 : Chris

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Existe-il pire sentiment ? Pire sensation que celle de voir les personnes en qui vous avez confiance vous tourner le dos ? Quand il s'agit d'un ami, c'est "facile". Nous avons mal sur le coup, le ressentiment nous prend dans ses bras, mais avec du recul, on se dit que cela n'aurait pas dû se passer. Que c'était un moyen pour la vie de nous donner une leçon. Le destin est ainsi. Parfois, les choses ont lieu pour nous faire grandir, c'est tout. Mais quand il s'agit de votre famille, de votre sang, de la personne avec qui vous avez grandi, de la personne qui vous a soutenu dans les projets impossibles, c'est tout sauf facile.

Allia et moi avons toujours eu une relation compliquée. Mon enfance a été loin d'être heureuse à cause d'elle, mais un jour, elle a décidé de changer, elle a fait de nombreux efforts pour se rapprocher de moi, pour créer un nouveau lien. Je lui ai offert mon pardon, j'en avais besoin. Ces dernières années, elle m'a consolée, elle m'a soutenue, et surtout dans le montage de mon dossier contre le Cénacle. Mais voilà que tout ce que l'on a reconstruit s'est écroulé en quelques petites secondes. Une relation fraternelle détruite.

J'ai déjà été trahie dans ma jeune existence et je n'aurais jamais pensé que celle qui me ferait le plus de mal serait celle-ci. Je crois que j'attendais beaucoup d'elle. Je pense que j'idéalisais le lien que nous pourrions avoir et que quand je l'ai eu, je m'y suis consacrée corps et âme. Finalement, ce n'est pas de se faire poignarder dans le dos qui fait souffrir, c'est de se retourner et de voir qui tient le couteau.

Me voilà donc, dans une cellule du Cénacle, au cœur de la Tour Ambre, à nouveau séparée d'Athan, seule face à mes pensées. Je cogite. Je n'ai que cela à faire. Que s'est-il réellement passé ? Comment les événements ont-ils pu tourner ainsi ? Pourquoi devons-nous vivre cela ?

Quand je pense à ce que ma vie aurait pu être, je craque complètement. Une foule de colère, frustration, angoisse, refoulées au fond de moi remontent d'un coup d'un seul, me submergeant complètement. Je ne contrôle plus rien, et j'ai horreur de ça.

Alors que je m'écroule dans ma cellule sous le coup de tous ces sentiments. Je ressens une chaleur au creux de mon ventre. Comme une petite boule d'énergie, une flamme qui brûle doucement et irradie dans mon corps. Mes muscles se détendent et cessent de trembler. Mon cœur, qui battait la chamade, ralentit pour reprendre son rythme initial. Mes larmes se calment petit à petit. Cette chaleur que je ressens me fait reprendre la maîtrise de mon être, me permet de me reconnecter à quelque chose d'agréable. J'oublie les trahisons, la peur, la rancune, la prison. Je ne ressens qu'une chose : ce que je ressentais ces moments où Athan et moi étions allongés sur l'herbe au parc. C'est alors qu'une petite voix dans ma tête me rappelle quelque chose d'important, "Tu es le feu, tu consumes ce qui te barre le passage".

﹘ Merci Athan, murmure-je pour moi-même.

﹘ Bien, le Cénacle a été prévenu que tout s'est passé comme prévu. Ils seront là demain pour la suite des évènements. Voyons soeurette, à quoi t'attendais-tu ?

﹘ Je m'attendais à ce que tu choisisses ta famille.

﹘ Mais je l'ai choisi.

En quelque sorte, je comprends ce qu'elle dit. J'avais lu il y a longtemps que s'engager dans la Garde, c'était s'engager dans une nouvelle famille. Elle a passé des années avec eux, au quotidien, à se battre à leurs côtés. Malgré tout, cela me semble complètement irréaliste.

﹘ Il faut que tu comprennes quelque chose Chris. Je t'ai toujours détestée, cela n'a jamais changé. Je te considère entièrement responsable de la mort de notre mère, et cela, je n'ai jamais pu le digérer. Elle te choyait, t'idéalisait. La petite fille parfaite. Elle est morte par ta faute ! Si tu n'étais pas sortie ce jour-là, elle serait encore avec nous.

﹘ Tu crois que je ne m'en veut pas moi-même ?! Je sais bien que je suis responsable... Sa pneumonie... je...

﹘ Elle était sortie pour toi. Elle est tombée malade à cause de toi. Déjà à cette époque je ne pouvais plus te voir, je t'en voulais à mort, mais quand tu as grandi, tu es devenue son portrait craché. La pire manière de remuer le couteau dans la plaie. J'ai tout fait pour te faire souffrir autant que j'ai souffert à cause de sa disparition. La moindre claque, la moindre parole qui te faisait du mal, me faisait pour ma part le plus grand bien. Et un jour, ce petit merdeux est entré dans ta vie. Te voir à nouveau heureuse m'était insupportable. Tu n'en avais pas le droit alors que je souffrais encore.

﹘ Alors c'est quoi ? Tu as faillie me tuer et tu as pris conscience que tu allais trop loin ?

﹘ Non. Ne crois pas ça. J'aurais terminé ce que j'ai commencé.

Je plonge mon regard dans le sien. Il est froid, insensible, glaçant. Ses iris sont aussi bleus que les miens, mais je n'y vois rien en commun avec moi. Là où l'une représente le ciel clair et la liberté, l'autre décrit l'abysse d'un océan. Je ne connais pas cette personne.

﹘ Si ton cher et tendre n'avait pas débarqué, ça se serait mal fini pour toi Chris. Mais voilà, ce petit saligaud a un don, qui certes, il ne maîtrisait pas, mais qu'il utilisait sans même s'en rendre compte. Il a bridé mes émotions. Il m'a modifiée. Il a choisi ma vie pour moi. Je suis devenu le petit agneau que tu espérais. La sœur que tu voulais. Mais au fond, je n'étais plus moi-même. C'est la Garde et Irène qui m'ont permis de me retrouver. Le programme des Sentinelles intègre, depuis quelques années, des exercices nous permettant de faire face aux contrôles psychiques. Petit à petit, j'ai retrouvé la mémoire de qui j'étais vraiment. J'ai compris qu'Athan m'avait volé une partie de ma vie et j'ai compris quelles erreurs j'avais faites. Je t'ai aidée à faire sombrer notre gouvernement. J'ai trahi ma famille.

﹘ C'est moi ta famille ! Et notre père ! C'est nous que tu as trahi ! Que pensera t-il de tout ça ? De ton comportement ?

﹘ J'ai cessée de me préoccuper de son avis il y a longtemps. Vois-tu, je voulais faire sa fierté à tout prix, je voulais sa reconnaissance, mais quand je lui ai dit que je voulais entrer dans la Garde, partir loin, il n'a pas sourcillé, il ne m'en a pas empêché. Je n'ai jamais été précieuse à ses yeux. Je n'ai donc pas vu l'intérêt de continuer à lui être dévoué.

﹘ Il t'aime. Il voulait seulement que tu fasses ce que tu aimes. Tu nous as trahi pour de l'orgueil mal placé. Je pense qu'au fond, j'ai toujours su qui tu étais vraiment. Depuis quand tu sais ?

﹘ Depuis un an et demi.

Je regarde Allia sans la voir. J'ai du mal à croire que c'est vraiment elle. J'étais tellement heureuse de retrouver une sœur, une personne en qui je pouvais avoir confiance, que j'étais devenue aveugle.

﹘ Et maintenant, que comptes-tu faire ? Que peux-tu faire de plus que trahir ton sang ?

﹘ Me venger petite soeur. De toi et de ce vaurien d'Athan. Tu comprendras vite que l'amour est une faiblesse, votre faiblesse. J'ai déjà en partie commencé en enlevant ton petit copain dans la maison ce soir-là, et je n'ai pas prévu de m'arrêter en si bon chemin.

Avant de quitter ma cellule, elle me lance un sourire mauvais. Et dans un dernier rire sadique, elle s'amuse :

﹘ Je sens que je vais bien m'amuser.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant