Chapitre 57 : Chris

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J'avoue que depuis deux jours, je fais n'importe quoi et que je ressemble à la pauvre fille paumée qui doit être sauvée. Merde à la fin ! Ce n'est pas juste. Du coup, je me retrouve face à Irène, à moins de deux mètres de moi, une arme encore une fois braquée sur moi. Qu'est-ce qui change de la dernière situation en date ? Ce n'est pas ma tête qui est visée mais mon buste et ce n'est pas ma garce de soeur qui tient l'arme, mais une autre, au moins aussi folle à lier !

﹘ Tu es conscient qu'elle va nous tuer tous les deux maintenant ?

Athan continue de s'avancer doucement dans notre direction. J'ai beau être dos à lui, l'immense salle circulaire et vide fait résonner ses pas.

﹘ Je me doute bien que désormais, son plus grand souhait n'est plus de pouvoir contrôler mon don. Il ne vous servirait plus à rien à présent. Et puis, vous me détestez au plus haut point n'est-ce pas ? Je vous ai retiré tout ce que vous aviez. Votre Garde bien aimée, vos Obliquatur, votre très cher Jake, votre pouvoir, votre statut.

Athan parle d'un calme olympien, détachant chaque mot de son discours pour en marquer le poids. Au moment où il termine, il est juste à côté de moi.

﹘ Je dois avouer que vous m'avez vraiment surprise Athan. Vous avez réussi un coup de maître aujourd'hui. J'aurais pu faire tellement de choses merveilleuses avec un tel don.

﹘ Vous m'auriez utilisé. Et en même temps, vous auriez continué vos recherches sur le transfert de dons. Au final, vous me l'auriez volé et vous m'auriez tué. Un don de manipulation mentale associé à un don d'empathie aurait fait des ravages. Vous n'êtes pas du genre à chercher le pouvoir pour le bien commun, vous le voulez pour votre grandeur personnelle, pour imposer votre vision du monde aux autres. En cela, vous n'auriez jamais été valable au pouvoir. Si Chris et moi n'avions pas été présents, d'autres l'auraient été. Peut-être pas aujourd'hui, ou demain, mais un jour vous seriez tombée de votre piédestal.

﹘ Vous parlez fort bien Athan comme toujours. Mais les mots ne suffiront pas aujourd'hui. Vous l'avez dit vous-même, vous avez détruit ce que j'ai mis des années à construire. Et c'est pourquoi je vais vous faire disparaître, finit-elle en déviant le canon de l'arme sur lui.

﹘ Non.

Rapidement, je me place devant Athan, face à lui, malgré ma douleur lancinante à la jambe.

﹘ Voilà une bien belle attention mademoiselle, malheureusement pour vous, ce n'est pas ce qui m'empêchera d'en finir, ricane-t-elle dans mon dos.

Je ne l'écoute pas. Athan et moi nous retrouvons face à face. Nos yeux traduisent pour nous ce que nous n'aurons jamais assez de temps de dire. Et je souffle, dans un murmure à peine audible :

﹘ Ensemble, comme toujours.

﹘ Partenaires.

Le temps est un concept impressionnant. Difficile à concevoir. Selon notre perception, il se distord, il se ralentit ou s'accélère. Une balle tirée d'un pistolet va toujours à la même vitesse. Et pourtant. Un peu plus tôt dans la journée, je n'ai pas eu le temps de comprendre qu'Allia avait pressé la détente que j'étais déjà en train de perdre mon sang sur le sol. Mais à ce moment précis, c'est comme si le temps s'était mis en suspens. Je conçois chaque seconde comme si je pouvais la toucher.

J'entends le fracas assourdissant de l'arme mis à feu dans mon dos. Alors qu'Irène appuye sur la détente, une onde de chaleur me parcourt. Main dans la main, front contre front avec lui. J'ouvre les yeux un bref instant et perçois comme une force, une énergie, visible, presque palpable, émanant d'Athan. Cette dernière me frappe et me traverse.

Je suis envahie d'un sentiment fort de protection, d'amour, de soutien. Ne sentant aucun projectile me heurter, je tourne la tête. Du coin de l'œil, je vois cette force continuer sa route, et heurter de plein fouet Irène. Mais là, il ne la traverse pas, il la percute, l'envoyant dans les airs. Soudain, le temps reprend son cours. Irène gît au sol, plusieurs mètres derrière moi, aucune balle ne m'a touchée. Je reporte mon attention sur Athan qui me regarde avec une lueur de joie.

﹘ Comm...

Pas le temps de finir ma question que ce dernier me coupe en posant ses lèvres sur les miennes. Toute la pression retombe d'un seul coup. Nous nous écartons et éclatons de rire.

﹘ Fabuleux.

Caleb, à l'entrée de la salle, nous regarde les yeux écarquillés. Comme moi, il est surpris par ce qu'il vient de se passer.

Nous engageons un mouvement dans sa direction, quand un nouveau bruit percutant me parvient. Cette fois-ci, pas de distorsion du temps. Il faut une seconde entre le bruit et l'impact. Athan, qui avait fait deux pas sur le côté, jette un œil sur l'origine de ce boucan, et comme moi, voit Allia, posté devant une porte d'accès auxiliaire. Arme à la main, elle me fixe le regard vide.

En une seconde, je tombe à genoux. Athan reporte son attention sur moi au moment où je touche le sol. Il me rattrape juste avant que ma tête ne touche terre. J'aperçois Allia filer quand Caleb se met à sa poursuite.

﹘ Bah merde alors. Elle a réussi cette peste, dis-je en regardant le trou dans mon ventre.

﹘ Ne parle pas.

Ma main vient se poser sur sa joue. Je plonge mes yeux dans ses prunelles vertes. Je n'y voit pas de tristesse, de colère, de chagrin. Juste de la surprise. De l'incompréhension.

﹘ Pourquoi ? Tu crois que ça va changer quelque chose. Tu as un médecin sous la main ?

﹘ S'il-te-plait Chris, garde tes forces.

Sa voix est triste. Il me retient de sa main gauche, mais sa main droite, elle, comprime mon abdomen. Elle est rouge sang. Mon sang.

﹘ Je... on... On va trouver une solution. Tu... Non, non, non. C'est pas possible. Nous étions si proches du but.

Le choc est passé. L'émotion le gagne.

﹘ Mais nous avons réussi.

﹘ Non, lâche-t-il en même temps qu'une larme.

﹘ Si, voyons. Regarde Irène. Écoute autour de toi. C'est calme. C'est paisible. Nous avons ramené la paix. Tu as libéré tous ces gens. Tu m'as libéré. Et en prime, tu as découvert un pouvoir que tu utiliseras pour aider tout le monde.

﹘ Arrête de dire tu. Nous sommes partenaires. Tu n'as pas le droit de m'abandonner.

﹘ Je suppose que je n'ai pas vraiment le choix. Allia a décidé pour moi. Et puis, si j'ai réussi pendant quatre ans, tu réussiras. Car comme tu l'a dis un jour, nos âmes ont toujours étaient liées, nous nous sommes toujours appartenu grâce à ce lien invisible, même quand nous n'étions pas ensemble.

Caleb revient. Les traits sombres. Il s'approche de nous avec précaution.

﹘ Désolé Athan, elle s'est enfuie. Je vais voir si je peux trouver de l'aide.

﹘ Et le revoilà parti, un vrai courant d'air ce type.

Une toux me prend d'un coup me coupant dans mon élan. La douleur commence à me faire sérieusement douter d'un happy end. Athan lui, tente tant bien que mal de retenir ces larmes.

﹘ Tu... as le droit... de pleurer. (Parler me déchire les entrailles.) Tu n'en as pas eu la chance... pour tes parents.

﹘ Ne parles pas comme si c'était la fin, Chris je t'en supplie. Je ne pourrais pas continuer sans toi.

﹘ Tu le pourras c'est sûr, mais surtout tu le devras. Tu aideras le nouveau Cénacle à agir avec conscience et empathie. Tu aideras les Amentis à reprendre une vie. Tu es le croisement de ces deux mondes. C'est toi qui changeras la donne. C'est toi Athan, le héros de l'histoire.

﹘ Non Chris... tu es l'héroïne de la mienne. Je n'aurais jamais pu devenir celui que je suis sans toi.

J'aperçois Caleb revenir avec des renforts alors que mes yeux se brouillent doucement, que la douleur s'apaise un peu. Athan me tenant dans ses bras comme le jour où il m'a sauvé, m'embrasse tendrement le front. Alors que mes paupières me pèsent, que je me sens légère, je bredouille :

﹘ Et maintenant... tu dois vivre... pour moi. Vis, mon poète. 

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant