Chapitre 11 : Athan

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             Voilà maintenant trois semaines que Chris et moi nous retrouvons tous les jours au parc. Parfois, elle vient seule, parfois elle choisit de prendre Neige avec elle. Depuis, nous nous sommes fixés cette table, à environ dix mètres de la rivière, légèrement en contrebas du parc, au calme et plutôt loin du peu de gens qui s'aventurent en pleine nature, comme point de rendez-vous commun.

Deux fois, je l'ai attendue devant chez elle pour que nous fassions le chemin ensemble, et deux fois, elle m'a durement fait comprendre de ne plus faire ça et m'a même fortement conseillé de passer par un autre quartier. À ce jour, j'ignore encore pourquoi elle refuse que je passe par chez elle. Mais je respecte sa décision et je fais un léger détour chaque matin et chaque soir.

Nous passons près de neuf heures chaque jour ensemble. Nous commençons par bosser, chacun de notre côté, je lui pose des questions quand j'en ressens le besoin (ça arrive très souvent, trop souvent). Au départ, ces interruptions avaient l'air de la gonfler, mais maintenant, j'ai plus l'impression qu'elle est fière de pouvoir me répondre.

           Chris est vraiment extrêmement douée. Elle ne se repose jamais sur ces lauriers et pousse toujours plus loin son travail. Elle ne s'arrête jamais à ce qu'elle connaît, dès qu'elle se pose une question, ou que je lui en pose une, même si elle ne semble pas être importante, elle cherche la réponse. Je me rends compte quand je suis auprès d'elle à quel point je peux avoir des lacunes. Nous nous aidons mutuellement. Elle est experte en Histoire alors que moi, je suis un vrai cancre. Au contraire, je suis vraiment à l'aise en psychologie et en philosophie, là où Chris a plus de difficultés. En fait, je me rends compte qu'elle est infiniment intelligente, mais qu'elle est aussi assez terre à terre, pragmatique. Dès que l'on commence à discuter de perception, de sentiment, et de relations humaines, je la perds. Chacun son truc comme dirait mon père.

De mon côté, je lui apprends justement à lâcher prise. Je dois souvent la forcer un peu, mais cela fait partie de notre marché. Elle a choisi de me suivre dans cette voie, elle me l'a même proposé, et aujourd'hui, elle n'a pas le choix. Je ne lui laisse pas le choix. Ainsi, après avoir travaillé en moyenne quatre heures, je me lève et l'emmène s'allonger avec moi le long de la rivière. À plusieurs reprises, j'ai dû la prendre par la taille et la soulever pour l'obliger à se lever. Décidément, quand elle se scotche devant son ordinateur, il est presque impossible de l'en éloigner. Si je ne prends pas les choses en mains, jamais je n'arriverai à compléter ma part de l'accord.

Je lui demande de me faire confiance, je crois comprendre que c'est assez dur pour elle, mais quand elle se détend un peu, qu'elle laisse tomber quelques-unes de ces barrières, elle y arrive un peu. Allongé près d'elle, dans l'herbe sèche et chaude du début d'après-midi, sous le soleil perçant, je lui demande de fermer les yeux. Elle a vraiment besoin de se détendre. C'est le même problème chaque jour. Et je lui explique comment se vider la tête. Je lui apprends jour après jour : comment respirer, comment s'ancrer à la terre, comment tout oublier, tout sauf le moment présent, comment vivre. Vivre.

          Jour après jour, notre complicité grandit. Nous apprenons à nous connaître l'un l'autre. Chris me parle de ce qu'elle veut pour son avenir, elle évoque son passé, sa mère, ses anecdotes d'enfance qui ont construit ce qu'elle est aujourd'hui. Elle m'apprend même pourquoi Chris. En réalité, c'est le diminutif de Christine. Elle trouvait ce prénom trop... gentil. Alors elle a demandé à se faire appeler Chris. Plus court, plus percutant, plus elle. Je constate qu'elle ne me parle jamais de ce qu'elle vit maintenant. Son présent n'existe pas pour elle. Le fuit-elle ?

Nous discutons également de ma vie. Je digresse à propos de ma famille, de mon père que j'adore, de ma mère que je n'ai jamais connu (sur ce point on se rejoint). Je lui parle de mon passé, de ce que je faisais chaque jour avant de la rencontrer, de ma solitude, de mes rêves, de mes souhaits. Je lui explique à quel point mon avenir m'importe peu, et que c'est la raison pour laquelle je me fiche quelque peu de mes études.

Obliquatur (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant