Les tribulations d'Allegra Muller

15/ Une nouvelle amie

Allegra se tait, rose de honte. Elle est de nouveau mortifiée. La jeune fille en face d'elle n'est pas n'importe qui. Elle est la fille d'un homme puissant dans le monde des arts, grand collectionneur et donateur généreux de l'Institut français du Japon.

— Vous devez immédiatement oublier ce qui s'est passé ici ce soir, et surtout rayer de votre vocabulaire le mot que vous sembliez particulièrement apprécier tout à l'heure. Je suis confuse...

— Hé ! Pas de panique ! s'exclame Abigail en s'approchant. Je ne dirai rien à personne... et je garde le « morue » en réserve...

Allegra soupire, se remet bien droite et finit pas accepter avec fatalité l'image peu avantageuse qu'elle va laisser à cette jeune fille.

— Bon. Je crois que la politesse veut que j'y retourne. L'incident est clos depuis un moment maintenant. Je devrais pouvoir passer inaperçue.

— Je ne suis pas sûre que vous soyez passée inaperçue avant l'incident. J'ai remarqué au moins trois hommes qui vous suivaient des yeux avec intérêt, et sans s'en cacher. Sans compter l'un des serveurs...

— Trois parfaits inconnus et un serveur ? Mazette ! Quelle récolte !?

— J'aimerais bien en avoir autant, dit sombrement Abigail en se mettant à inspecter un peu trop méticuleusement sa robe.

La jeune fille blonde à la peau pâle porte une jolie robe en mousseline bleue qui met ses yeux en valeur, mais pas sa silhouette qu'elle épaissit de manière grossière.

— Vous avez choisi votre robe ?

— Non. Bien sûr que non. C'est ma mère qui... Enfin, c'est ma mère.

— Je vois. Elle choisit parce que vous n'avez jamais eu voix au chapitre ou parce que vous ne voulez pas faire l'effort de choisir ?

— Un peu des deux, je suppose.

— Alors, il va falloir faire quelque chose, dit Allegra en s'approchant tout sourire.

Elle commence par baisser les manches ballons pour découvrir les épaules d'Abigail. Puis, elle cherche un moyen d'aplanir le bouillonnement de plis sur les hanches.

— Flûte, si j'avais mon sac, je ferais un point ici et là pour ajuster au mieux...

— Ça n'est pas grave. J'ai l'habitude.

— C'est dommage quand même. Mais si je ne peux rien faire pour la robe, je peux, en revanche, m'occuper de vos cheveux. Je suis championne toute catégorie en tresses et autres chignons. Je vais vous donner de la hauteur.

— Vraiment ? Mais nous n'avons rien pour... commence la jeune anglaise.

Elle voit alors Allegra prendre quelques épingles à cheveux de son propre chignon.

— J'en mets toujours trop pour être sûre. J'ai eu raison, remarquez ! Rien n'a bougé malgré l'incident du petit four. Mais je peux sans nul doute envisager de me séparer de quelques-unes de mes épingles maintenant.

Elle commence alors à s'occuper des cheveux fins et dorés de la jeune fille. Bientôt, un chignon tressé révèle sa nuque gracieuse et met en valeur son visage.

— Tada ! Qu'en dites-vous ?

— C'est... trop joli ! s'exclame Abigail en mettant ses mains sur ses joues.

— Bon, ne vous avisez pas de danser le twist, ou de pogoter, hein ! En fait, ne dansez pas... et ne bougez pas trop. Je ne garantis rien sur la longueur...

La porte des toilettes s'ouvre brusquement à la volée, faisant sursauter ses deux occupantes.

— Abigail ! Je te cherche partout depuis... Oh ! Pardon ! Je vous interromps...

Entrée de la mère. Même profil que la fille, mais en plus svelte.

— Il n'y a pas de problème. J'allais justement rejoindre la réception.

— Mais nous n'avons pas échangé nos numéros de téléphone ! s'exclame Abigail en dégainant un smartphone à la coque étincelante.

Allegra se demande brièvement où pouvait se trouver cet engin jusqu'à présent. Comme elle, la jeune fille n'a pas de sac à main avec elle.

— Je suis désolée, mais j'ai laissé mon téléphone dans mon sac.

— Donnez-moi votre numéro. Je vous enverrai un message et vous m'enregistrerez à ce moment-là.

Allegra sourit et obéit. Elle ignore ce qui l'attend, mais elle ne rechigne pas à faire de nouvelles rencontres et à avoir de nouveaux amis. Même plus jeunes.