64/ Si loin, si proche

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— Alors ? Toujours le calme plat et l'horizon bouché ?

— Sally ! Je suis trop contente de te voir.

— C'est quoi ce pull hideux ?! Je sais que tu as changé de vie, mais quand même ! Tu es obligée de devenir vieille et laide ?

— Merci ! Vraiment ça me remonte le moral, ça ?!

— Tu as le moral dans les chaussettes ? Montre !

— Tu veux voir mes chaussettes ?

— Ouaip ! Vas-y ! Aboule la chaussette puante ! Je suis sûre qu'elle est aussi horrible que le pull !

Allegra se marre en mettant ses pieds devant la caméra. Elle remarque alors que les chaussettes sont dépareillées.

— Tu te laisses aller, bichette ! Ça ne serait jamais arrivé il y a six mois ! En fait, tu n'aurais jamais porté de telles horreurs il y a six mois ! Même pas une petite couleur flashy ?! C'est quoi ce marron qui a envahi ta vie ?

— Il y a six mois, je ne vivais pas au bout du monde dans un pays où le temps n'a pas le temps de choisir s'il fait beau ou non. Et puis, c'est joli le marron, et il y en a de toutes les sortes. Et ça a l'énorme avantage de dissimuler les traces de boue !!

— Allez ! Tu vas me faire pleurer, Cosette! Fais-moi rêver, plutôt ! Montre !

Allegra tourne la caméra du côté de l'immense baie vitrée devant laquelle elle a installé son espace de travail.

— Même quand il pleut, c'est magnifique, s'exclame Sally. Ah ! Au fait, j'ai pris mes billets ! Je serai là dans exactement un mois !

Allegra crie de joie. Revoir Sally est sa victoire. Elle veut lui montrer son nouvel environnement, lui faire découvrir la beauté de cet endroit. Elle veut lui prouver qu'elle n'est pas malheureuse. Juste un peu triste parfois.

— Est-ce que tu as reçu des nouvelles du bureau de New York ?

— Non. Et je crois que je n'en attends plus. Je pense que mes « nouveaux amis » ont fait en sorte que je ne puisse pas retourner là-bas...

— Tes « nouveaux amis » sont des enfoirés. Et s'ils nous surveillent, ce que j'espère, je les maudis sur dix générations, et je leur promets l'enfer dans leur prochaine vie.

— C'est nouveau toutes ces croyances ancestrales ?!

— Ça vient de George. Enfin, de la mère de Georges ! Elle parle avec un accent incroyable et utilise des mots que je ne comprends absolument pas ! George dit que c'est un mélange d'anglais et de Yiddish. Et elle n'est même pas juive !

Allegra éclate de rire. George est un voisin de Sally. Il prend soin de sa mère depuis la mort de son père, trois ans auparavant. Sally n'a aucun souci avec ça. Allegra la soupçonne d'aimer autant le fils que la mère qui s'est révélée fantasque et drôle. Ancienne prof de dessin, elle peint des tableaux abstraits emplis de couleurs et nimbés d'une luminosité qui plaisent beaucoup à Allegra.

— Tu as promis de m'apporter l'un de ses tableaux...

— Déjà emballé, ma chère.

— J'ai hâte de te voir. Tu n'as pas idée...

— Moi aussi ! On va s'éclater...

— J'ai prévu de te montrer tout mon nouveau monde !

— Et je veux voir la capitale aussi ! Pas seulement ton coin de paradis perdu ! D'accord ?

— Pas de soucis. À ton arrivée, on restera à Wellington quelques jours. Je te présenterai Ari.

— Le mystérieux Ari.

— Mystérieux, mystérieux... Pas si mystérieux, tu sais. Il tient une sorte de bar dans un quartier branché de la capitale.

— Il va nous permettre de nous pochtronner à l'œil dès les premiers jours ! Yipi, yipi, kai !

— On dirait que tu ne viens que pour ça ?!

— Pour ça et pour acquérir l'un de ces magnifiques pulls dont tu sembles faire la collection depuis six mois !

— Je t'aime, poulette !

— Moi aussi, bichette.

Allegra a la banane. Oui, elle a hâte de revoir son amie.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant