57/ La loi de murphy

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Un bruit persistant réveille Allegra. Un bruit persistant et désagréable. Une sorte de raclement de métal qui vous traverse jusqu'à l'os et vous hérisse les poils sur la nuque. La jeune femme grimace avant même d'ouvrir les yeux. Si elle n'était pas si nauséeuse, elle râlerait à coup sûr. Mais elle a le cœur au bord des lèvres. Et ça n'est pas parce qu'elle a trop bu. En fait, elle préférerait. Parce que ce qu'annonce son état actuel est bien pire que la pire des gueules de bois du siècle... bien pire. Et beaucoup plus récurrent. Elle peut même dire que c'est un truc habituel, comme chez 100 % des femmes de ce monde.

Cazzo ! Les anglais vont débarquer ! Les ragnagnas vont s'installer ! À elle, les joies des pertes sanguines, des seins douloureux et des crampes intempestives... « Bon ! C'est pas comme si c'était la première fois. Hein ? Mais là, ça tombe mal ! Vraiment, vraiment très mal ! » pense Allegra en jetant brièvement un œil par la fenêtre de la voiture.

La nuit est totale. La lune est pleine. Le véhicule est à l'arrêt au milieu de nulle part. Elle voit à peine le miroitement de l'océan sur sa droite, seule clarté dans l'obscurité d'un ciel sans étoile. Le bruit de tôle qu'on lacère provient d'un hangar peint façon camouflage d'où s'échappent également des éclats de lumière brefs mais intenses. C'est assez étrange. Assez inquiétant aussi. Elle est seule à l'arrière du véhicule de Ari, là où elle s'est effondrée. Les portières sont verrouillées.

« Bon, pas de panique » pense-t-elle. Il faut traiter les urgences par ordre. Elle attrape son sac qui lui avait servi d'appui pour sa sieste réparatrice. D'ailleurs, elle ne le voit pas, mais elle en garde une longue marque courbe qui part du haut de la pommette jusqu'à la bouche.

Elle farfouille un instant et pêche ce qu'elle cherche, sa trousse fourre-tout, dont elle extrait le graal : une serviette hygiénique soigneusement pliée dans son emballage. Emballage qui a vécu des jours meilleurs, il va sans dire, puisque l'objet du délit est dans cette trousse depuis des lustres. C'est la serviette d'urgence ultime. Celle qui dépanne quand on n'a pas la tête à calculer et qu'on est parti sans se prémunir. Celle qui sauve les copines, aussi tête de linotte qu'elle.

Elle plonge de nouveau sa main dans la trousse. Cette fois, elle en sort un petit objet oblong, lui aussi préemballé. Un tampon. Alors. Maintenant, il faut choisir. Elle évalue la situation, ce que chaque solution va lui demander de manipulations et de contorsions. La serviette gagne haut la main.


Zang Hong-Chi observe la voiture avec ses lunettes à vision nocturne. Ce qu'elle y voit la laisse perplexe. Sa cible se contorsionne comme si elle se débattait avec un serpent. Impossible de la viser correctement. Si ça continue, il va lui falloir s'approcher pour réussir à l'éliminer. Elle enrage. C'est la deuxième fois que la fille lui pose problème. Elle pensait sa vengeance à portée de main cette fois. Et ça s'était transformé en jeu de piste contraignant et pénible. Après l'échec de l'équipe qu'elle a payé pour récupérer la cible, la tueuse a eu la chance inouïe d'intercepter un message envoyé par le gorille. Elle a dû ensuite crapahuter de longues heures pour atteindre cet endroit isolé en évitant de se faire repérer.

Néanmoins sa stratégie a payé. Même si le chauffeur, qui a manifestement fort à faire dans le hangar, est venu à plusieurs reprises s'assurer que la cible était toujours endormie dans le véhicule, il ne semble pas se douter du danger qui rode. Il est convaincu d'avoir réussi à semer ses poursuivants.

La question évidente qui se pose est : qu'attend-t-il pour livrer le colis ? À moins que le client ne vienne lui-même le récupérer... Si c'est le cas, il vaudrait peut-être mieux qu'elle patiente. Idéalement, elle pourrait ainsi faire une pierre, deux coups : éliminer sa cible et son protecteur : Shade. Racoon n'aime pas la concurrence. Surtout la sienne. Ce type marche un peu trop souvent sur ses plates-bandes. Et puis, qui sait ce qu'il pourrait être amené à faire une fois qu'elle aura tué la fille ?! Mieux vaut faire table rase.


Après moult contorsions et trifouillages en tout genre, Allegra a réussi l'incroyable tour de force qui consiste à mettre une serviette hygiénique dans sa petite culotte sans montrer son arrière train à tous les passants... Enfin, ici, plutôt au vide intersidéral qui l'environne. Mais bon, il n'y a pas de petite victoire. Elle est sûre d'avoir accompli un exploit digne du livre des records.

Et sa joie ne fait qu'augmenter quand elle voit sur le siège passager devant elle, un sac en plastique débordant des mets les plus délicats pour son palais de béotienne : poche de bonbons au chocolat fourrés d'une pâte non identifiée qu'elle adore aussitôt, chips aromatisées à un truc non identifiable – parfois, il vaut mieux ne pas savoir pour éviter de se gâcher le plaisir –, eau minérale – mais pourquoi ?!!! - et soda. Un soda ! Bien chimique ! Bien sucré ! Elle en pleurerait tellement, elle est heureuse.

Elle se bourre de sucre frelaté, de gras et de colorants avec une joie non dissimulée. Elle sent le bien-être que lui apporte cet apport de calories hautement sollicité par son corps. Elle va tout de suite mieux et est prête à affronter le danger, la peur et les ragnagnas ! D'ailleurs, elle remarque enfin au milieu du tableau de bord. Bien en évidence, donc - le bouton qui déverrouille les portes de l'intérieur.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant