20/ Sous surveillance

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Après avoir abandonné ses ballerines en vrac à l'entrée, Allegra retrouve son appartement à Tokushima dans l'état où elle l'a laissé. Enfin presque. Parce qu'ici ou là, elle décèle des modifications. Infimes, certes, mais bien réelles. Comme pour ses affaires à l'hôtel la veille. Ici aussi quelqu'un a fouillé.

— Bien. J'espère que vous en avez bien profité pour renifler mes petites culottes ! Parce que ça n'arrivera plus ! crie-t-elle à l'intention d'éventuel micros en posant son sac sur un fauteuil encombré de vêtements.

Elle ne s'embarrasse pas de savoir si rien ne manque, ni même de ranger les affaires qu'elle a amenées avec elle. Elle fulmine et se met au boulot aussitôt. Pas de cours à l'Alliance aujourd'hui. On est dimanche.

Elle ouvre son PC portable, y insère la clé et se plonge dans les méandres du contrat qui intéresse tant de monde. Elle se demande bien pourquoi d'ailleurs, car elle n'y décèle rien de transcendant. Rien qui justifie que l'on veuille s'en emparer à tout prix en fouillant dans ses affaires en tout cas.


Au bout de plusieurs heures, Allegra étire son dos douloureux. Assise sur un gros coussin à même le sol devant la petite table basse qui lui sert de bureau-table-reposoir d'objets divers, elle prend conscience qu'il est plus que l'heure de déjeuner.

Elle se laisse tomber au sol en baillant. Elle n'a sans doute rien dans ses placards. Il va falloir qu'elle sorte. Le temps est au gris, et elle aurait préféré rester et finir, mais son ventre se met à grogner.

— Traître... murmure-t-elle en se massant l'abdomen.

Elle reprend la clé USB, attrape sa besace et sort.


Heureusement le petit magasin de M. Mitokan est ouvert. Elle se demande brièvement s'il ferme de temps à autre. Elle pense ne l'avoir jamais vu portes closes. Même le soir très tard, il y a de la lumière. Elle ne va pas se plaindre, parce que le vieux japonais lui a très souvent sauvé la mise à des heures indues.

— Bonjour, M. Mitokan !

Comme à son habitude, le vieux se contente de sourire en la suivant des yeux. Il la voit toujours prendre la même chose : pâtes instantanées et mochi. Parfois une bière. Jamais rien d'élaboré ou qui demande autre chose qu'une cuisson au micro-onde, ou qu'un bol d'eau bouillante.

Alors qu'elle s'apprête à payer, elle voit une silhouette masculine familière de l'autre côté de la rue qui observe le petit immeuble où se trouve son logement. Elle paye distraitement M. Mitokan, qui s'en aperçoit. Le vieux monsieur tourne la tête pour voir ce qui absorbe autant sa cliente.

— Ah ! Le prétendant est revenu.

— Le prétendant ? répète Allegra quasi choquée d'entendre la voix du vieux japonais. C'est la première fois qu'il lui adresse la parole.

— Oui. Il vient pour vous. Déjà samedi. Et aujourd'hui. Mais pas de fleurs aujourd'hui. Fâchés ?

Le regard d'Allegra passe de M. Mitokan à la silhouette de dos qui n'a pas bougé.

— Cet homme était là samedi ?

— Oui. Il est monté.

— Comment savez-vous qu'il venait pour moi ?

— Parce qu'il m'a demandé si vous habitiez bien ici avec une photo.

— Et vous lui avez répondu ?

Le vieux monsieur hausse les épaules. Allegra se focalise de nouveau sur la silhouette. Elle est quasi sûre maintenant qu'il s'agit de Kim Min-Ho. Donc leur rencontre à l'Institut français n'était pas fortuite. Elle est même prête à parier qu'il est le fouineur qui s'est introduit dans son appartement. Il n'y avait rien trouvé sauf l'invitation sur le meuble dans l'entrée.

— Finalement, je ne prends rien, M. Mitokan. Il y aurait une autre sortie dans votre magasin, par hasard ?

— Dans la réserve. Alors fâchée ?

— Très.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant