Son réveil est à la mesure du trauma qu'elle a subi la veille. Particulièrement désagréable. Son sommeil a été peuplé de chutes vertigineuses et de noyades. Rien de plaisant ou de reposant. Sans compter qu'Allegra a mal en des endroits qu'elle n'imaginait pas pouvoir être douloureux.
Les vêtements qu'elle a sortis du sac avant de se coucher, sont pitoyables, puent horriblement et ont à peine séché. Les baskets sont foutues et dégagent, elles aussi une odeur des plus nauséabondes. Et il pleut encore des cordes dehors.
Mais le plus important – parce qu'Allegra est assez primaire -, c'est qu'elle a une faim de louve. Comme elle est assez démunie question vêtements et chaussures, elle décide d'appeler la réception.
— Bonjour. Auriez-vous un service de blanchisserie ?
— Non.
— Un room service ?
— Non.
Les réponses laconiques de son interlocuteur commencent à l'énerver sérieusement. Où est passée la charmante demoiselle qui lui a donné sa clé la veille ? Bref ! Adaptation. Adaptation. Allegra reste néanmoins polie.
— Je me trouve dans une situation difficile et particulièrement inconfortable. Je n'ai pas ma ...
— Madame, je vais devoir raccrocher pour finir l'enregistrement des nouveaux arrivants. Pourriez-vous formuler votre requête clairement ?
Mais c'est un robot ou quoi ?
— Si vous n'y mettez pas du vôtre aussi, on ne va pas y arriver ! Je vais reformuler ! J'ai besoin de fringues et de bouffe ! C'est assez clair pour vous !?
Un blanc au bout du fil, puis une réponse qui la fait hurler de rage.
— Je ne peux donner de suite favorable à vos requêtes.
— Je vais l'étriper ! hurle Allegra en balançant le combiné de la chambre où il n'y a plus que la tonalité.
Elle fonce dans la salle de bain.
Un couple en pleine discussion dans le hall voit débouler Allegra avec une certaine stupéfaction. Il y a de quoi. Avec ses vêtements prévus pour l'été assez hétéroclites, pour ne pas dire carrément bizarres, ses tennis qui couinent à chaque pas, et son visage furieux auréolé de boucle rousse, il est évident que personne n'a envie de se frotter à elle.
Allegra s'arrête au comptoir de l'accueil où personne n'est présent. Si le réceptionniste croit pouvoir échapper à sa fureur de cette manière, il se met le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! Elle peut être très déterminée, surtout quand il s'agit d'emmerder le monde. Elle a déjà tenu tête à un responsable de sécurité de l'ONU ! Alors un gérant d'hôtel ! C'est de la peccadille pour elle ! Elle s'ingénie donc à appuyer en continu sur la sonnette prévue pour ce genre de situation jusqu'à ce qu'enfin une tête émerge d'une porte latérale cachée dans les parements du mur derrière le comptoir.
— C'est bon, je suis là. Vous pouvez arrêter, dit l'homme qui vient d'apparaître en interposant sa main entre celle d'Allegra et le bouton de la sonnette.
La cinquantaine, des cheveux poivre et sel, et la peau du visage ridée comme quelqu'un qui a l'habitude de vivre en extérieur, il a le sourire rare et la suffisance dans le regard. Il la toise d'ailleurs des pieds à la tête.
— Ah ! Chambre 405 ? C'est ça ! Des fringues et de la bouffe ! Je vois que vous avez trouvé une partie de ce que vous cherchiez. Le reste n'attend que vous, dit-il en montrant de la main la salle de petit-déjeuner où plusieurs personnes la fixent avec curiosité.
— Très drôle ! Vraiment très drôle ! Vous êtes hilarant !
— Ça n'est pas le but. Malgré son très bon emplacement, notre hôtel est très bon marché parce qu'il demande un minimum de participation de la part de ses clients. Alors pas de blanchisserie, pas de room service, et le petit déjeuner est servi jusqu'à 9h30 seulement. Si j'étais vous, j'irais fissa avant que ...
Sans attendre qu'il ait fini, Allegra s'est déjà détournée de lui pour se diriger vers le buffet à grandes enjambées. Elle attrape la plus grande assiette qu'elle trouve - juste après avoir hésité à prendre le saladier de pain presque vide - et se met à y empiler un grand nombre de choses différentes. Puis, elle finit par mettre plusieurs petits pains dans ses poches, un croissant dans la bouche et prend un verre de jus de fruit.
Lorsqu'elle sort de la salle avec son butin, elle passe devant le gérant médusé et prend l'ascenseur. Elle aussi est joueuse.
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Les tribulations d'Allegra Muller
Literatura FemininaAllegra Muller ne croit pas au destin et voit son verre toujours à moitié plein. Elle ne cherche pas à révolutionner sa vie, elle trace son chemin. Mais parfois sur les chemins que l'on trace, il y a des obstacles. Fortuits ou non, ils infléchissent...