Les tribulations d'Allegra Muller

51/ Le bout du monde, mon œil !

Une fois dans sa chambre, Allegra découvre avec contrariété que quelqu'un y est entré pendant son absence. Une épaisse enveloppe a été posée sur le lit. Son ridicule sac de voyage ne semble pas avoir été ouvert cependant. Mais elle imagine que dans le monde dans lequel elle a plongé tête la première, tout est possible sans qu'elle ne le sache jamais.

Elle secoue la tête. Ne pas devenir paranoïaque. Surtout rester zen. Personne ne sait qu'elle est ici. Absolument personne ! C'est sûr !! Mais alors qu'est-ce que c'est que cette enveloppe ? Quelqu'un qui se serait trompé de chambre ? Un pot de vin de la part de l'hôtel pour qu'elle ne mette pas une critique horrible sur les sites de notation après son départ ? Possible... parce qu'elle va le gratiner celui-là, ils peuvent en être sûrs !

La curiosité est trop forte. L'inquiétude aussi. Elle pose brutalement son butin alimentaire sur la table près de la fenêtre et se rue sur l'enveloppe, la tâte, la tourne dans tous les sens, n'arrive pas à la plier totalement. Ce qu'elle contient est trop épais. Trop rigide...

Partant tout de même du principe qu'elle a une tueuse aux trousses, voire peut-être plusieurs, elle ouvre l'enveloppe avec précaution et fait glisser lentement son contenu sur les draps. Qui sait ce dont sont capables les professionnels du carnage discret de nos jours ?

Un billet d'avion pour Paris au départ d'un aéroport d'Hawaï. Un passeport avec sa photo au nom de Daphné Blake – Daphné Blake ? Et pourquoi pas Velma Dinkley, tant qu'on y est ?! -. Une énorme liasse de dollars néo-zélandais. Un smartphone flambant neuf et une feuille pliée en deux sur laquelle deux lignes de chiffres ont été écrites. Des coordonnées géographiques ?

Déconcerté, Allegra se relève. Elle ne comprend rien. Qui en dehors de Matthew Fox pourrait savoir pour Paris ? Smith ? Étant donné qu'elle a pris son billet pour Auckland sur un coup de tête en échangeant l'autre billet, comment a-t-il fait pour savoir où elle se trouve ? Et comment a-t-il fait pour réagir aussi vite ? Matthew serait-il encore vivant ? Entre les mains de Smith ?

Arghhhh ! Sa tête va éclater ! La jeune femme a des palpitations. Elle a besoin d'un remontant. Elle ouvre le mini-bar, avise une minuscule bouteille de whisky qu'elle avale d'une traite en grimaçant.

— Bordel ! C'est vraiment dégueu ! dit-elle avant de se mettre à piocher machinalement parmi les victuailles qu'elle a ramené du buffet de l'hôtel en fixant le contenu de l'enveloppe.

Allegra réalise qu'elle est déçue. En réalité, elle était soulagée de se trouver là où personne ne la pensait. Naïvement, elle croyait pouvoir reprendre une vie relativement normale et échapper au chaos qui la poursuit depuis sa rencontre avec Fox. Bien sûr, elle ne peut pas être sûre que l'enveloppe vienne de lui, ni même de Smith, mais c'est presque certainement l'un des deux.

Elle se décide à sortir le smartphone de son emballage et le met en charge. Le rectangle s'allume aussitôt qu'elle effleure le bouton. Il est verrouillé par une empreinte digitale. De mieux en mieux. Elle applique la sienne, et contre toute attente, le téléphone se déverrouille. Cazzo ! Comment quelqu'un a-t-il réussi ce tour-là ?

Elle soupire. Pourquoi s'étonne-t-elle encore ?

À part les icônes de base, il n'y a qu'une note sur l'interface : « le téléphone est sécurisé »

Super ! Et alors ? Allegra cherche dans le répertoire des contacts au cas où. Bingo ! Un seul numéro d'enregistré. Elle appelle. Qui que soit son généreux bienfaiteur, elle a besoin de déverser sa colère. Sa frustration aussi.

— Enfin ! Je commençais à croire que le coursier m'avait menti ou s'était trompé de chambre !

Matthew Fox !