24/ Un dorayaki et ça repart

803 102 2
                                    

Une fois dans le bus, Allegra compte les stations. À la quatrième, son cœur a repris un rythme normal, et sa température corporelle a réintégré la zone de confort. Elle reprend ses esprits. Se dit qu'elle est complètement folle de se laisser embringuer dans le délire psychotique de ce Fox. Qu'il doit y avoir une explication logique la présence de ce van près du coréen.

Fox est un grand malade ou un manipulateur de premier ordre. Sa disposition manifeste pour le déguisement la pousse à croire qu'il est sans doute schizophrène. Un évadé d'asile... Elle ne va pas le laisser faire de sa vie un champ de bataille cauchemardesque envahi par la suspicion. La seule chose sûre, est que quelqu'un veut le fichier qu'elle détient. Probablement Fox lui-même.

Pas de problème. Elle va contacter Shimada immédiatement. Non. Si elle fait ça, elle sera grillée professionnellement. Elle va plutôt prendre une chambre près de l'entreprise, comme elle l'a envisagé un peu plus tôt. Personne ne rentre et personne ne sort avant demain matin tôt. Elle finira la traduction sur place. Il ne lui reste que la dernière page.

Allegra, fière de son plan sans faille, finit par se tranquilliser en observant le paysage qui défile. Puis, parce qu'elle déteste que la situation lui échappe, que le bus va bientôt s'éloigner des endroits qui lui sont familiers et que la nuit va bientôt tomber, elle décide de reprendre la main sur son existence.

Le bus approche du Mont Bizan. Elle connaît l'endroit pour y avoir été au début de son séjour. Le point de vue sur la ville depuis le sommet est très beau. Et il y a une pâtisserie à l'angle de l'avenue qui lui apportera le réconfort nécessaire à la poursuite de son aventure. Elle sourit en poussant la porte de la boutique.


— Je vous dis de descendre au terminus d'un bus et je vous trouve en train de vous goinfrer à mi-chemin ! Bravo ! Vous avez gagné la palme de l'inconscience ! lance Dieter lorsqu'il la trouve assise sur l'un des petits bancs disposés face au bâtiment dans lequel se trouve l'accès au funiculaire du Mont Bizan.

La bouche pleine, la jeune femme le fixe, stupéfaite. Puis elle reprend ses esprits et se lève d'un bond en avalant sa bouchée de dorayaki.

— Comment vous m'avez retrouvée ?! Vous avez fait tous les arrêts ?

— Vous savez sans doute que les téléphones modernes sont pourvus d'un GPS... dit-il en lui attrapant le bras pour l'entraîner à sa suite.

— Stop ! Ça suffit maintenant ! s'écrie-t-elle en se libérant.

— Il ne faut pas rester là. J'ai une voiture.

— Et vous croyez que je vais vous suivre !

— Il le faut ! Vous préférez le coréen et son van ?

— Pourquoi pas ? Il embrasse bien, lui !

Stupéfait de cette réplique ô combien puérile, Dieter ouvre la bouche un instant pour répliquer et s'arrête en chemin. Il lui est venu à l'esprit brièvement qu'il pourrait bien l'embrasser juste pour lui prouver le contraire et rétablir son honneur. Mais il se secoue à cette idée saugrenue. Il préfère attraper le bras de la jeune femme et l'entrainer à sa suite. Mais contre toute attente et malgré son poids plume, elle résiste plutôt bien. En fait, elle s'est agrippée au dossier du banc avec la force du désespoir.

— Je ne viens pas avec vous ! Vous êtes un malade ! Je suis sûre que M. Kim ne me veut aucun mal !

— C'est pour ça qu'il a fouillé vos affaires et votre appart !

— Il ne sait même pas où je me trouve !

— Comment vous a-t-il trouvé à la bibliothèque d'après vous ? GPS !! G ! P ! S ! Faut vous le dire en quelle langue ! hurle Dieter en brandissant son smartphone sur lequel une petite application pirate lui a permis de pister Allegra.

— Qu'à cela ne tienne ! Je vais éteindre ce foutu téléphone ! Et basta !

— C'est trop tard ! Ils ne sont sûrement pas loin.

— Cazzo ! crie-t-elle en levant les bras au ciel en signe de désespoir. Je vous préviens que si vous tentez le moindre truc bizarre, je vous pulvérise, lance-t-elle en se mettant à marcher vers le côté droit de l'avenue.

— Ma voiture est de l'autre côté, lance-t-il avec ironie.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant