65/ Parosibeach

697 88 0
                                    

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Je pense même que ça pourrait devenir un réel problème.

— Allons bon, la dernière arrivée se montre la plus protectionniste d'entre nous ! C'est le monde à l'envers. J'aurais cru justement que l'idée te plairait à toi qui viens de la grande ville et qui a voyagé ?!

— Pourquoi crois-tu que je sois venue m'enterrer ici ! s'exclame Allegra en souriant.

— Parce que tu as un truc à cacher, susurre Amy en s'accoudant au comptoir avec un air matois.

— Pas vraiment. Juste une envie de calme.

— Bon, ben, remarque, tu es servie ! Mais si le calme a ses avantages, il a aussi ses inconvénients ! Certains villages s'en sortent vraiment mieux que nous depuis qu'ils ont mis en avant leurs attraits cinématographiques ! Moi, je pense qu'il est temps pour nous de revaloriser les atouts de Parosibeach.... Nous sommes à la frange d'une réserve naturelle exceptionnelle et nous n'en profitons pas !

— Les atouts de Parosibeach ? Tu veux dire autre chose que le pub ?

— Moque-toi ! D'abord, le panorama. Tu ne vas pas dire qu'il n'y a pas une vue exceptionnelle depuis chez toi ?

— Si, mais je n'ai pas forcément envie de la partager. En plus, il y a déjà des touristes. Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai découvert un site utilisé par des campeurs sur le versant ouest de la montagne voisine.

— Des campeurs sur le mont Parosi ?

— Arrête de l'appeler comme ça ! lance son frère Andy qui vient de finir d'essuyer les tables.

— Quoi ?! Tu veux que je l'appelle comment ?

— C'est une montagne du massif. T'as qu'à dire la montagne !

— Je me demande pourquoi je prends le temps de te parler ?! Vraiment...

— Parce que je suis ton frère aîné et que tu me dois le respect, en premier lieu. Ensuite, parce que j'ai toujours raison et que tu as toujours tort. Enfin, parce que la montagne est la montagne, pas le mont machinchose ou autre. L'étrangère a raison. Laisse Parosibeach tranquille.

Au grand étonnement d'Allegra, Amy fulmine, mais ne rétorque rien. Elle n'en a pas le temps. Son cadet lui coupe l'herbe sous le pied. Charly, qui est occupé à nettoyer la machine à café, se mêle inopinément de la conversation, alors que d'habitude il se garde bien d'intervenir dans les joutes qui opposent son frère et sa sœur.

— À l'ouest, tu as dit. Du côté du promontoire qui donne sur la vallée ?

— Oui. C'est exactement ça.

— Je l'ai vu aussi, une fois. C'est un type seul. Il vient toujours par là et assez régulièrement pour que je le note. Il ne laisse jamais rien derrière lui.

Charly occupe en emploi assez atypique et solitaire. Il surveille les sentiers qui serpentent depuis la vallée jusqu'au massif et s'assure que les rares promeneurs, campeurs ou touristes – oui, parce qu'il y en a déjà pour atteindre Parosibeach sans faire la moindre publicité -, ne se perdent pas ou ne fassent pas n'importe quoi dans cet espace protégé.

— Régulièrement comme « je viens observer un truc en particulier » ou régulièrement « comme j'aime cet endroit plus que tout au monde, m'y trouver est le plus grand de mes plaisirs » ? demande Allegra sur un ton qu'elle veut anodin, mais qui reste tendu.

La question arrête la fratrie qui se met à observer la jeune femme avec curiosité. Allegra s'en rend compte et hausse les épaules.

— Il y a une vue intéressante de ma maison depuis là-haut. J'aimerais autant ne pas me sentir matée par un harceleur qui s'ignore, lâche-t-elle, laconique, en finissant son café.

Les Tomberry ne relèvent pas, mais aux regards qu'ils échangent, il est évident qu'ils comptent en parler entre eux dès que Allegra aura quitté les lieux.

— Quoiqu'il en soit, dit alors Amy pour retrouver le chemin de sa première préoccupation. Je vais soumettre ma proposition au conseil vendredi. Ça pourrait être une solution pour lever des fonds pour restaurer certains équipements de notre village sans nous épuiser financièrement.

— C'est donc pour ça ?! s'exclame Allegra en sautant de son tabouret pour rejoindre la porte. C'est parce que tu ne veux pas mettre la main à la poche ! T'es une vraie radine, Amy !

— C'est ça ! Attends que je te fasse payer le café au prix de l'or pour compenser les frais du nouveau terrain de rugby ! crie la fille Tomberry alors que Allegra s'échappe en riant.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant